Depuis une semaine, nous avons passé la journée dans la salle de méditation, tantôt assis, tantôt marchant, et quelques-uns d'entre nous y ont dormi, dans le parfum flottant d'un encens léger. Petit à petit, le calme s'est installé à l'intérieur de nous; les plaintes et la colère, notre ronchonnement perpétuel se sont atténués. Oh, pas sans mal, il est vrai… Le point de départ en est souvent le « C'est toujours moi qui… », source inépuisable de récapitulation au goût amer et délicieux.
Les premiers jours, corps et esprits s'agitent dans tous les sens, décident toutes les trois minutes que cette retraite a été une grande erreur, qu'il vaudrait mieux partir… Mais avec patience, on arrive à dégager un espace, à se tourner vers les autres. Les demandes incessantes, qui nous traversent comme des vagues, s'apaisent, le souffle s'allonge; on s'installe en soi, on s'installe dans le temps, sans chercher immédiatement une distraction, en étant là, tout simplement, tout difficilement.
La liste à la main, j'arpente les allées du supermarché. Je m'amuse des conversations saisies au passage, des visages qui m'entourent. J'ai bien une petite réserve sur la musique incessante, mais je me décide à marcher en rythme, et ça va beaucoup mieux. Les marchandises commencent à s'entasser dans le chariot, épicerie, fromage, produit vaisselle…
Ah, encore une fois redevenue démon avide ! Je vois comme il est profond ce désir de saisir, d'attraper, de retenir, de s'approprier. Non pas que ce désir soit mauvais en soi : il nous est nécessaire pour vivre. Mais il est sans fin, insatiable, et là où, tout à l'heure, j'étais légère et satisfaite je me sens maintenant pesante et vaguement mécontente. Quelqu'un me bouscule, et je reprends mes esprits ; et tant pis pour le lieu, je ris, et je ris encore : tombée du ciel le nez dans la boue, quel voyage !
Source "La Vie" janvier 2006