C'est avec beaucoup de plaisir que je publie cet article d'Henri Hude, philosophe et directeur de recherche aux écoles de Coëtquidan. Il a été publié préalablement dans Ouest France (merci à ce journal de nous autoriser la publication en ligne, et spécialement à EM) mais même s'il s'agit du premier journal français, cela a pu vous échapper.....
En tout état de cause, une réflexion stimulante.
O. Kempf
Si dans deux ans l’Europe économique et monétaire était très mal en point, qu’aurions-nous pour vision politique de l’avenir ? Car malgré nos désaccords, nous en convenons tous : l’Europe est l’avenir. Si l’économie la divise, autre chose doit l’unir.
Plusieurs grands pays européens peinent à rester dans l’Euro. Comment les y forcer ? Lourdes incertitudes. Les uns voudront de l’inflation ; les Allemands s’y opposeront. Le couple franco-allemand va faire chambre à part, en matière financière. Le populisme antiallemand pourra servir de bouée aux politiciens en perdition. Soyons justes. Nul ne nous a forcés à signer le Traité de Maastricht, puis à faire si peu pour nous préparer à la concurrence mondiale. Le traité de Maastricht, c’était l’adoption par tous du modèle allemand. L’Allemagne en a tiré des avantages, mais elle a fait des efforts pour s’adapter. Nous en avons tiré des facilités, sans nous préparer. Si nous ne voulions pas de ce modèle, pourquoi avons-nous signé ce traité ?
Nos systèmes étant solidaires, les problèmes des uns deviennent ceux des autres. La pression anti-libre-échange va sans doute s’accroître. Si chacun veut l’Euro pour soi, ce sera la dispute.
Outre la réconciliation franco-allemande et la solidarité économique, l’Europe était une vision consensuelle et pacifiste de la vie internationale. Le parapluie américain permettait de rêver, en faisant l’impasse sur le politico-militaire. Et nous voici en tension sur l’économie, avec la guerre à nos portes. Et dans deux ans ? A moins de renoncer à l’idée européenne, il faut une vision alternative. Mais qu’est-ce qu’une Europe qui n’est pas d’abord économique et monétaire ? Une Europe politique et militaire.
Au service de la paix ? Certes oui. Mais une politique de paix ne se réduit pas à des leçons de morale, ou à des actions humanitaires. C’est la maîtrise de la violence grâce à l’imposition d’un droit par la force. La politique, c’est la force au service d’un droit. La vision alternative pour l’Europe, c’est d’être un pouvoir mondial au service du droit et de la paix. L’Europe de la défense, c’est le ticket d’entrée pour cette politique.
Si les Allemands ne rejoignent pas cette vision alternative, l’Europe sera en suspens. Pas d’illusion : il est peu probable qu’ils la rejoignent d’emblée. Ils tenteront plutôt de préserver un temps une Europe réduite, où leur vision subsiste.
D’ailleurs, qui serait en mesure de porter ce projet ? Et comment y croire ? Que disent les réalistes ? « L’Europe ne peut pas se défendre, parce qu’elle n’est pas une Nation et que ses peuples n’en ressentent pas le besoin, faute de croire aux menaces. Et les USA s’en chargent. » Mais tout cela va sans doute changer.
Si l’Histoire se répète tant soit peu, au Sud, après la sympathique période de révolution libérale, surviendront chômage, revendications, lutte des classes et rétablissement de régimes autoritaires. Non pas des dictatures traditionnelles, car l’islam est érodé par l’occidentalisation, surtout dans la jeunesse. Mais des dictatures soumises à l’opinion, comme celle de Napoléon III, ou de Mussolini. Prêtes à se lancer dans des aventures extérieures extravagantes, pour séduire l’opinion, qu’elles craignent.
Au-delà du monde arabe, les déséquilibres s’accroissent. Si des contentieux opposent les Grands, l’ONU ne fonctionne plus. Les Etats-Unis ne défendront pas indéfiniment une Europe qui ne voudrait pas se défendre. Mais incapables de tout faire tout seuls, ils s’accorderont forcément avec un pouvoir mondial libre et fort, partenaire égal et irremplaçable : une communauté européenne de défense, pilier indépendant de l’OTAN. Une telle décision lance une logique menant à l’union, car elle fait dépasser la contradiction entre souverainistes et fédéralistes. Ce qui était le problème le plus insoluble devient le contenu principal de la politique commune et la règle de construction d’une plus profonde union.
Pour exister, l’Europe a besoin de dirigeants de grande classe. En finir avec la « com ». Placer la politique à son juste niveau : celui d’une démocratie durable.
Henri Hude, directeur du Pôle d’éthique, Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan.
Auteur de Démocratie durable. Penser la guerre pour faire l’Europe, Editions Monceau, www.henrihude.fr