Tant que les agences de notation s’en prenaient aux économies périphériques (Grèce, Irlande, Portugal, Espagne…), ça ne semblait pas si grave : après tout, ces États surendettés ne manifestaient-ils pas la sénescence de la Vieille Europe, frappée d’une paralysie la rendant incapable de surfer sur la vague de la reprise économique mondiale ? Il fallait laisser ce vieillard malade s’éteindre doucement tandis qu’un soleil radieux se levait ailleurs. Mais voilà : en début de semaine, l’agence de notation Standard & Poors a abaissé à « négative » la perspective d’évolution de la note des États-Unis. En 2011, leur déficit budgétaire devrait atteindre les 1 400 milliards de dollars, près de 9,8% du PNB (malgré une croissance à 3,3%), et leur dette publique approcher les 15 000 milliards, c’est-à-dire le seuil psychologique de 100% du PIB (en 2010, elle dépassait les 13 000 milliards de dollars, soit plus de 90% du PIB).
Standard & Poors a lancé une sévère mise en garde : « Il y a un risque réel que les responsables politiques américains ne parviennent pas à un accord sur la façon de répondre aux difficultés budgétaires à moyen et long terme d’ici à 2013; s’il n’y a pas d’accord [entre démocrates et républicains] et qu’une mise en œuvre significative n’est pas lancée d’ici là, cela rendrait à notre avis le profil de risque des États-Unis significativement plus faible que celui des autres pays AAA ».
L’Amérique, clé de voûte de l’économie mondiale
Ce qui se joue là est d’une importance majeure. Malgré l’émergence des économies du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), celle des États-Unis occupe encore une place centrale : c’est la clé de voûte de l’économie mondiale ; quand celle-ci s’effondre, tout l’édifice s’effondre. Quand George W. Bush arriva au pouvoir, fin 2000, le déficit budgétaire s’élevait à 4 000 milliards de dollars. Huit ans plus tard, en quittant la Maison Blanche, il laissait un déficit de 8 000 milliards de dollars, notamment à cause de la guerre en Irak. Les plans de relance liés à la crise des subprime portent le déficit à bientôt 15 000 milliards de dollars. Le surendettement public américain galope comme un cheval fou. Le statut de « meilleur emprunteur » des USA sera caduc dans les toutes prochaines années, quand ils auront perdu leur triple A. Cela fera l’effet d’une bombe atomique. Les Bons du Trésor américain ne vaudront plus grand-chose, le dollar ne sera plus la monnaie de référence.
Aux États-Unis, l’automne s’annonce orageux
Déjà, l’orage étasunien s’annonce pour l’automne prochain. La crise budgétaire va bientôt contraindre l’État fédéral (et les États fédérés) à une politique d’austérité qui paralysera des pans entiers de l’économie américaine. Celle-ci est beaucoup plus keynésienne qu’on ne le croit souvent. Dans un système keynésien, un soudain retrait de l’État produit un effet de sidération sur l’économie. La crise des Bons du Trésor américains fera partie de la tourmente qui s’annonce. Et aussi celle du dollar, déstabilisé par l’arrêt du Quantitative Easing 2 en juin prochain.
Cela interviendra dans un contexte mondial défavorable. L’équilibre des finances publiques dans le monde reste « très aléatoire », comme l’a dit le FMI mardi dernier : en 2011, « le ratio moyen entre dette publique brute et PIB dépassera la barre des 100 % pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale » et « les besoins de financements bruts atteindront des niveaux records ». Ceci malgré les politiques d’austérité mise en œuvre par de nombreux États. Les taux d’intérêt vont monter. L’économie mondiale sera violemment secouée. La crise américaine aura des répercussions sur les banques centrales, les grands réseaux bancaires, les sociétés multinationales, les fonds de pension… Les pays exportateurs verront leurs débouchés américains se restreindre drastiquement. Les ondes de choc sur l’économie mondiale seront multiples.
Au-delà des États, il n’a aura plus de recours
Ainsi, la crise économie mondiale aborde inexorablement une deuxième phase : la faillite des États, dont leur numéro un, les États-Unis, superpuissance mondiale. Ce phénomène va prendre à rebours l’optimisme suscité par la reprise économique liée aux plans de relance qui, pourtant, dans les pays occidentaux, est faible par rapport à l’ampleur des injections de liquidités effectuées pour redynamiser la croissance.
Pour sauver les banques, on a chargé les mules étatiques. C’est à leur tour de défaillir. Au-delà des États, il n’y aura plus de recours : plus rien ne s’opposera à la terrifiante logique purgative de la crise.