Première jeudi 21 avril au Théâtre National. Année Louis II oblige, le Ballet National bavarois a fait du neuf avec de l'ancien en reprenant une choréographie narrative que le choréographe américain John Neumeier et le décorateur Jürgen Rose avaient montée à Hambourg en mai 1976. La Première munichoise a eu lieu jeudi soir au Théâtre National, et a été suivie dans une atmosphère quasi religieuse par un public bavarois qui lui a réservé le triomphe des grands soirs par une standing ovation! A noter que cette choréographie a notamment été présentée en 2000 au Théâtre du Châtelet à Paris.
La Bavière commémore cette année le 125ème anniversaire de la mort tragique du Roi Louis II, un roi qui avait causé beaucoup de soucis à son pays de son vivant, notamment par des dépenses somptuaires qui ont mené le pays au bord de la ruine, mais dont les réalisations artistiques et la figure devenue mythique constituent aujourd'hui une manne appréciable. Les touristes viennent par dizaines de milliers visiter ses châteaux, sa biographie est constamment revue et commentée, Wagner qu'il avait ardemment et généreusement soutenu est souvent considéré comme le maître suprême de la musique lyrique: les choix et les investissements artistiques, tant architecturaux que musicaux de Louis II, contribuent aujourd'hui à la fortune de la Bavière. Et ceci justifie peut-être la décison du Ballet National de monter à Munich un ballet dont Jürgen Rose et John Neumeier eurent pour la première fois l'idée en 1974 alors que ce dernier dirigeait le ballet de Hambourg.
Alors qu'on lui demandait de produire un ballet classique, Neumeier en discuta avec Rose qui eut l'idée de revisiter Le lac des Cygnes en imaginant qu'un Roi, désigné comme Le Roi mais qui est aussitôt identifié comme Louis II de Bavière, assiste à la représentation du ballet de Tchaikovski dans son château de contres de fées. L'idée n'est pas un anachronisme: Tchaikovski vit son ballet exécuté pour la première fois en 1877, mais ne remporta qu'un succès médiocre. Ce n'est qu'à partir de 1895 que les cygnes du grand compositeur russe prirent leur envol dans la choréographie féérique de Petipa/Ivanov à Saint Pétersbourg, soit après la mort de Tchaikovski et de Louis II.
Mais si Louis II de Bavière n'est sans doute pas rentré en contact avec l'oeuvre de Tchaikoski, on peut comme John Neumeier l'a si bien fait, tenter de nombreuses passerelles symboliques entre les deux hommes. A commencer par leur homosexualité qui les écartela: nés dans une période où on ne pouvait vivre sa nature propre en pleine lumière, et difficilement sans doute à l'abri des regards, en tout cas pour des personnalités de premier plan, constamment sous les feux de la rampe.
John Neumeier imagine un canevas narratif qui oppose la réalité aux illusions issues de l'imagination du souverain: l'action se situe à la fin de la vie de Louis II que le corps médical vient de déclarer mentalement malade et incapable d'assumer la fonction royale. Le somptueux rideau de scène, décoré d'un riche brocard bleu, blanc et or représentant le motif répété de cygnes couronnés et de fleurs blanches , se lève sur l'emprisonnement du souverain qui essaye de se calmer par la prière. Les déchirements intérieurs de Louis II seront incarnés dans le personnage de l'Ombre dont on se rend vite compte que le Roi en est épris. L'ombre, ce sont notamment les pulsions homosexuelles incontrôlables du Roi de Bavière, un être écartelé entre les nécessités de la cour et les appels trop puissants de son être véritable.
Dans les délires de son enfermement, le Roi s'illusionne à partir de trois objets disposés dans la chambrer du palais qui lui sert de celulle: la maquette de Neuschwanstein, un théâtre miniature de carton qui présente ne représentation du Lac des Cygnes et son propre portrait en pied en grand habit de cérémonie. Le décor de la celulle s'ouvrira par trois fois pour laisser place au décor déliré par la folie royale
- Lors du premier acte, on est au château de Neuschwanstein encore en chantier mais dont la construction s'achève. Le souverain a convié les paysans du village, qui sont peut-être aussi les ouvriers qui ont participé à la construction, à une fête paysanne où danse et combats de force alternent. Rose et Neumeier convient ici tous les clichés du kitsch bavarois: la bière coule à flots dans de grandes chopes, les paysans portent la culotte de cuir et leurs femmes la robe à tablier (Trachten et Dirndl) sur fond d'échafaudage et panorama alpin. Les paysans s'exercent à des jeux de force et le Roi peut un moment s'illusionner d'une proximité avec son peuple, et particulièrement avec les paysans athlétiques. Arrive ensuite la Cour et la Reine, mère du Roi. Une princesse essaye de le séduire, mais le Roi pris de folie la repousse, la jette à terre et vajusqu'à gifler sa propre mère. Un des personnages se révèle être l'Ombre, le roi est puissamment attiré, d'une manière incoercible, et agit à lencontre de tout ce que l'on attend de lui. L'Ombre fait transition et le Roi se réveille dans la prison qu'il n'a jamais quittée. Il se jette à nouveau sur son prie-Dieu pour une prière énervée, on le sent tiraillé entre un devoir qu'il ne peut accomplir et le besoin constant de se réfugier dans le divertissement.
- Le deuxième objet, le théâtre miniature, va conduire le souverain à croire qu'il assiste à une représentation du Lac des cygnes. Dans une mise en abyme très réussie, Neumeier reproduit fidèlement la choréographie d'Iwanow, l'adjoint de Petipa, telle qu'elle fut présentée en 1894 au théâtre Mariinski. Ici Louis II va s'identifier au prince Siegfried, le prince du Lac des Cygnes qui, tombé amoureux d'une femme ensorcellée et métamorphosée en cygne, la princesse Odette, dansée par l'incomparable Daria Sukhorukova, sera victime à son tour de la machination du magicien qui l'abuse en lui faisant épouser sa propre fille, à qui il a donné l'apparence de la femme dont le prince est amoureux. Le Roi d'opérette qu'est Louis II rencontre ainsi et s'identifie au prince de conte de fées. La transition est à nouveau organisée à partir de l'Ombre. Alors que le Roi s'approche du magicien maléfique, il se rend compte qu'il s'agit de l'Ombre, ce qui est lourd de signification symbolique: l'homosexualité est un maléfice qui empêche l'accès à l'amour véritable. Le roi se réveille à nouveau de son illusion dans sa celulle.
- A partir de son portrait en pied qu'il contemple dans sa celulle, Louis II s'illusionne une troisième fois: cette fois il se retrouve dans la salle de bal de son château, il donne un de ces bals masqués à l'occasion desquels il lui plaisait tant de se travestir. Il s'est costumé en Prince Siegfried, l'amoureux de la femme cygne. Le bal masqué donne l'occasion de chorégraphier, entre autres, les personnages de la commedia dell'arte, des numéros de clowns et quelques danses du Monde: aux flamencos andalous succèdent des danses folkloriques russes, puis ce sont encore des valses, qui rappellent celles dansées par la Cour au premier acte . Ici encore le Roi est approché par une princesse déguisée en l'Odette du conte, mais rien ne sera consommé: la nature véritable du Roi l'emporte et il rejette la femme. L'Ombre assure à nouveau la transition et le Roi retrouve la réalité: la chambre-celulle de son palais. La femme-cygne lui apparaîtra pour une dernière tentative de séduction amoureuse? Mais le Roi, hébété, n'a pas l'attrait de la femme et se tourne à nouveau vers l'Ombre. Restés seuls, l'Ombre et le Roi vont danser un Pas de deux masculin qui exprime les désirs et les déchirements intérieurs de l'Amour qui ne peut dire son Nom. Ce pas de deux final, ce grand pas de deux homosexuel est aussi l'apothéose de la choréograpie de Neumeier. Tigran Mikayelyan (le Roi) et Marlon Dino (l'Ombre/Photo) ont donné un pas de deux époustouflant. Et le décorateur n'est pas en reste: Jürgen Rose fait alors tomber son sublime rideau de scène sur les deux danseurs. Le rideau bleu tombe sur les danseurs qu'il engloutit, comme la vague du Lac Stanberg sous laquelle ont disparu à jamais le Roi Louis II et son médecin personnel, dont on pense qu'il l'a entraîné dans la mort. L'illusion aquatique est parfaitement rendue.
On est subjugué par la qualité de la troupe du ballet. On sait combien il est périlleux de s'essayer à reproduire les choréographies d'Iwanow-Petipa si elles ne sont pas dansées à la perfection. Seule l'ascèse, la discipline de travail et le talent artistique des meilleurs danseurs peuvent redonner vie à ce ballet si souvent remâché. Le pari munichois est réussi et la magie est présente au rendez-vous que vous donne le Ballet National bavarois pour les prochaines représentations.
Agenda
Les 23 et 28 avril 2011Les 6, 15, 18, 21 et 23 mai 2011Les 2, 6 et 11 décembre 2011Les 10, 12, 16, 19 et 22 mars 2012Et le 27 avril 2012.
Réservations, cliquer ici, puis sur la date désirée en bas de page, et suivre la procédure
Crédits photographiques: Hösl, Badekow, Kletzsch