Dans le cadre de la contrefaçon d’œuvres audiovisuelles sur internet, si les notifications de contenus illicites faites à l’hébergeur doivent comporter un certain nombre de mentions, et notamment identifier avec précision les contenus visés, il n’en va pas de même des conclusions d’avocat lors d’un contentieux.
En l’espèce, le comique Raphaël Mezrahi, célèbre pour ses fausses interviews de personnalités, a fait l’expérience de la rançon de la gloire en constatant que certains de ses sketches étaient largement diffusés sur Youtube.
En sa qualité d’auteur et d’artiste-interprète, il a donc attaqué le non moins célèbre hébergeur sur le fondement de la contrefaçon, en produisant le procès-verbal d’un constat d’huissier attestant de la mise en ligne de plusieurs de ses œuvres audiovisuelles sur la plateforme de partage de vidéos.
L’ordonnance de référé du Président du Tribunal de Grande Instance de Paris, en date du 9 janvier 2008, a déclaré les demandes de l’humoriste irrecevables, le premier juge ayant retenu qu’il ne pouvait connaître avec précision les vidéos contestées mises en ligne puisque les demandeurs n’avaient pas pris le soin de les « lister dans leurs demandes » et « se sont contentés (…) d’affirmer que certaines œuvres étaient plagiées et de verser au débat des DVD (…), laissant au juge le soin de faire seul le travail de comparaison entre les vidéos qu’il aurait connues en lisant les procès-verbaux de constat et les œuvres visionnées en cabinet, privant ainsi les parties, et notamment la société défenderesse du principe essentiel du contradictoire ».
La Cour d’Appel de Paris à confirmé cette ordonnance
La Cour d’Appel de Paris, dans un arrêt du 27 mars 2009, a confirmé cette ordonnance, au motif que « les termes du litige sont, en application de l’article 4 du code de procédure civile, déterminés par les prétentions respectives des parties, prétentions qui sont elles-mêmes fixées par les conclusions de celles-ci ».
La Cour déduit pour l’application de ce texte, faisant ainsi une application particulièrement rigoureuse du principe dispositif, que les termes du litige ne peuvent pas résulter des pièces versées aux débats et qu’il ne peut de ce fait être renvoyé aux procès-verbaux de constat, notamment aux captures d’écran faites par l’huissier instrumentaire, ou bien à l’énumération des vidéos jointes à son constat pour déterminer précisément la liste des œuvres dont la contrefaçon est alléguée.
Le demandeur s’est pourvu en cassation, de sorte qu’il incombait à la Haute Juridiction de déterminer si le renvoi à des pièces, formulé dans les conclusions, pour identifier des œuvres arguées de contrefaçon, peut suffire à fixer les termes d’un litige.
Une telle désignation par référence pose en outre le problème du respect du contradictoire et de l’exercice des droits de la défense car il est difficile d’imaginer que l’on puisse considérer qu’un défendeur ait été en mesure d’exposer ses arguments conformément aux principes du procès équitable lorsqu’il ignore avec précision les faits qui lui sont reprochés.
La Cour de Cassation casse l’arrêt
La Première Chambre civile de la Cour de Cassation, dans son arrêt du 31 mars 2011, a refusé de suivre le raisonnement des juridictions du fond sur ce point, cassant l’arrêt soumis à son examen.
Elle rend sa décision au visa de l’article 4 du Code de procédure civile qui dispose en son alinéa 1er :
« L’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.»
Si la Cour de cassation rappelle ce principe essentiel de la procédure civile, il n’en demeure pas moins qu’elle ne suit pas la Cour d’Appel de Paris dans l’interprétation qu’elle en fait.
En effet, la juridiction du second degré avait considéré que les termes du litige ne pouvaient pas résulter des pièces versées aux débats et qu’il ne pouvait pas être renvoyé aux procès-verbaux de constats réalisés par un huissier instrumentaire pour déterminer précisément la liste des œuvres dont la contrefaçon est alléguée.
La Première chambre civile de la Cour de cassation sanctionne cette analyse et pose que des œuvres audiovisuelles arguées de contrefaçon peuvent valablement être désignées par référence, dans les conclusions, à un procès-verbal d’huissier de justice comportant des captures d’écran et la preuve de la mise en ligne des œuvres litigieuses.
Si la mise en œuvre d’une telle décision va simplifier la tâche rédactionnelle des avocats, il est néanmoins possible de s’interroger sur ses implications sur le principe du contradictoire qui constitue une règle de procédure fondamentale, ainsi que sur la responsabilité des huissiers de justice dont les procès-verbaux devront être extrêmement détaillés sous peine de créer la confusion dans les prétoires.
Sources :
Cass. Civ. 1ère 31 mars 2011, n°10-12053
Cour d’Appel de Paris, 27 mars 2009, n° 08/18387
- La protection d’une œuvre de l’esprit : le juge s’emmêle les pinceaux !
- Piqure de rappel : la notion d’antériorité est indifférente en droit d’auteur
- Contrefaçon : La géométrie variable de l’existence d’une contestation sérieuse
- Google libre de résilier un contrat Adwords avec un client contrefaisant
- Interview de Maître Gérard HAAS dans 01BUSINESS sur les données personnelles et marketing