Schwarzenegger, patron de l’Europe ?
L’exercice du pouvoir a quelque chose de puissamment addictif : regardez les dictateurs qui s’y accrochent au péril de leur vie, ou, à peine plus sobrement, les efforts parfois grotesques que les politiciens des démocraties sont prêts à faire pour conserver ou retrouver un poste important dans un appareil d’État…
Le dernier exemple en date laisse même pantois : selon la rumeur, Arnold Schwarzenegger pourrait briguer la présidence à l’Union Européenne.
Sur le plan technique, il semble en effet impossible, en l’état actuel de la constitution américaine, de pouvoir se présenter aux élections présidentielles : il n’est pas né sur le sol américain, mais autrichien. Et c’est justement cette nationalité, qu’il n’a pas perdue, qui lui permettrait de prétendre à un poste en Europe. Evidemment, il ne s’agirait pas pour lui d’un quelconque cabinet obscur, mais rien moins que la présidence du Conseil européen, en lieu et place de Herman Van Rompuy, l’actuel sémillant représentant européen auprès de toutes les institutions internationales et autres réunions huppées, dont le charisme de serpillière humide est maintenant reconnu sur toute la planète.
(Dessin de presse : René Le Honzec)
Sans même suivre Nigel Farage dans sa bordée d’épithètes poétiques, force est de constater que le gentil Herman ne fait guère le poids devant Arnold le Gouvernator, qui n’a pas de mal, lui, à impressionner bien plus que des kilomètres de film en cinémascope.
Cependant, ne nous leurrons pas : cette hypothèse de la star hollywoodienne briguant la présidence du Conseil tient beaucoup du projet lancé en l’air pour faire parler de lui et n’a que peu de chances d’aboutir : aussi fort soit l’appétit du body-builder acteur/politicien, il est assez peu probable que l’intelligentsia européenne accepte l’arrivée en son sein d’un pur produit américain, citoyen de plein droit de l’Oncle Sam, et ce, même s’il a aussi un vieux passeport autrichien tout poussiéreux.
D’une part, les soupçons de connivences avec la puissance d’Outre-Atlantique seraient trop forts. D’autre part, un politicien (que ce soit Van Rompuy ou n’importe quel autre) ne peut accéder à des postes où l’on est, finalement, nommé par un groupe d’États qu’avec un solide réseau d’accointances locales. Si Schwarzenegger a, très probablement, un tel réseau aux États-Unis, il n’en est probablement rien ici en Europe.
Ces éléments purement politiques, en soi, sont rédhibitoires. Mais maintenant, si on les écarte, le candidat Arnold a, en réalité, tout pour réussir dans la politique européenne : tout comme tous les autres politiciens européens, et français ou italien en particulier, c’est un individu qui n’a jamais lésiné pour son image personnelle. Il est plein de peps, assez grand et on l’a vu fort sur les écrans ; on l’imagine facilement sentir un peu fort un after-shave coûteux, et ses muscles turgescents faisaient jadis ronronner de plaisir les ménagères de moins de 50 ans, cible tendre et cajolée des politiciens avertis.
Tout, dans sa carrière, montre ce besoin compulsif de placer en premier le paraître, l’image : le culte du corps dans le body-building, le culte de l’apparence dans le métier d’acteur, et la nécessité permanente du travail de l’image dans celui de politicien. Avec Reagan, on avait déjà eu, aux USA, un exemple typique d’acteur parvenu à la stature présidentielle. Quant à L’Europe, elle suit, comme d’habitude, l’Amérique de quelques décennies : un Berlusconi ou un Sarkozy, par exemple, n’ont absolument rien à envier à Schwarzenegger en matière d’égo, de travail de l’image, et de goût irrépressible d’atteindre et conserver le pouvoir.
Et c’est logique, du reste : le formatage du discours politique par des années de marketing et d’analyses pointues pour une communication efficace ont contraint les idées des partis et leurs programmes à respecter des règles drastiques (pas plus d’un triplet d’idées claires, des phrases mantra, des concepts qui s’articulent en quelques notions simples, un discours facile à mémoriser et à recracher), et à les enrober dans un packaging coloré, froufroutant et délicieusement entêtant.
On a tant réduit les idées politiques à leur plus « substantifique moelle » que cette dernière, finalement, s’est évaporée et on ne se retrouve plus qu’avec l’os, creux mais entouré d’un superbe ruban aux couleurs chatoyantes, en guise de joujou rigolo, et lorsqu’on tente de le ronger, on s’aperçoit qu’il couine gentiment.
Schwarzie fut l’illustration aux USA de ce phénomène, Sarkozy ou Berlusconi en sont une autre en Europe… Et finalement, c’est dommage : puisque la politique, en Europe, n’est plus qu’une course futile aux plus beaux, plus amusants, à celui qui aura la plus belle répartie ou la meilleure capacité à recracher un triplet d’idées clefs dans l’air du temps, à surfer sur une mode ou l’autre, autant prendre un type qui a, si ouvertement, fait acteur de son métier.
C’est Reagan qui disait que la politique était l’autre plus vieux métier du monde et notait à quel point il était semblable au premier. Le troisième doit être acteur et ça tombe bien : la politique actuelle ne ressemble plus qu’à du petit théâtre.