Acteur et réalisateur proche de Laurent
Gbagbo, Sidiki Bakaba est resté dans la résidence présidentielle à
Abidjan. Il raconte son engagement et l'ambiance sur place quelques
jours avant l’arrestation de l’ex- Président Laurent Gbagbo.
Acteur et réalisateur ivoirien proche de Laurent Gbagbo, Sidiki Bakaba
se trouve à ses côtés dans la résidence de Cocody. Acteur dans de
nombreuses pièces de théâtre et au cinéma dans le très beau Visages de
femmes (Désiré Ecaré, 1972), Bako, l'autre rive (Jacques Champreux,
1977) et Camp de Thiaroye (Ousmane Sembene, 1987), il est auteur de
plusieurs documentaires et fictions. Il a récemment tourné Cinq siècles
de solitude, la victoire aux mains nues, sur les événements politiques
qui ont secoué la Côte d'Ivoire entre 2002 et 2004. Il est occupé à
filmer les combats des derniers jours, pendant l'assaut lancé au matin
par les forces pro-Ouattara contre Laurent Gbagbo. Sidiki Bakaba, 62
ans, un Ivoirien «nordiste» issu du grand groupe mandingue, explique à
Slate Afrique les raisons pour lesquelles il reste loyal, jusqu'au bout,
à son ami Laurent Gbagbo. Ce dernier l'avait nommé directeur du Palais
de la Culture d'Abidjan dès son accession à la présidence en 2000.
Pourquoi êtes-vous toujours à la résidence aux côtés de Laurent Gbagbo?
Un proverbe indien disait à l'époque de Gandhi que le paysan laboure en
temps de paix, mais laisse la houe en temps de guerre pour aller
défendre son pays. J'ai fait un film sur les événements de 2002-2004 qui
s'appelle ''La victoire aux mains nues'', et qui raconte le massacre
qui s'est produit devant l'hôtel Ivoire. Je continue de filmer
aujourd'hui, j'étais tout à l'heure sur un véhicule RPG et j'ai dû
sauter pour me protéger. Je défends mon pays.
Vous défendez votre pays ou votre ami Laurent Gbagbo ?
Mon pays ! Je reste aux côtés de Laurent Gbagbo. C'est un grand frère,
c'est aussi la réalité. Mais je vois des gamins de 22 ans qui ont la
rage au cœur, qui veulent l'indépendance réelle et totale. Nous, à notre
adolescence, nous avons connu l'indépendance, qui a été un échec
lamentable et du bluff, avec des rapports de conseils des ministres qui
étaient d'abord visés à Paris. La plupart des jeunes d'aujourd'hui en
Côte d'Ivoire n'ont pas eu la chance de faire des études comme nous,
mais ils savent ce que c'est que la défense de la souveraineté. En
Tunisie, il n'a pas fallu une semaine pour faire tomber le président Ben
Ali. On ne se pose pas la question de savoir pourquoi les Ivoiriens, à
l'inverse, sont là pour défendre leur Président. Il y a ici des gens
extraordinaires qui sont écœurés par le mensonge dont on leur rabat les
oreilles. Chaque fois que je filme un de ces jeunes en gros plan, ils
disent: ''Je veux la vraie indépendance Papa, pas ce que vous avez
vécu''. Il faut libérer ce pays et les autres pays. J'ai toujours été un
homme de spectacle et voilà que, depuis quelques jours, je suis un
militaire.
Comment est l'ambiance à la résidence de Cocody ?
Très familiale, tranquille. Les gens chantent et prient. Tout va bien.
Laurent est souriant pour ceux qui ont la chance de le voir. Il n'y a
aucune panique.
Ne pensez-vous pas que la RTI a déversé de la propagande incitant à la haine ces derniers mois ?
Elle a diffusé des films qui ont été faits par les Français eux-mêmes,
comme ce documentaire sur la Françafrique qui a galvanisé les gens.
Quand on parle de propagande, croyez-vous que c'est seulement la
télévision française qui dit la vérité ? Tout est faux ! Hier encore, le
soir du 5 avril, on en riait ici: on annonçait que Laurent avait signé
un papier pour sa reddition! Ce matin, on a commencé à nous canarder.
Les dépêches disent que ce n'est pas la France qui est derrière, que ce
sont les combattants pro-Ouattara qui donnent l'assaut, qu'ils ont déjà
d'ailleurs mis le pied dans notre cour. Je peux vous dire que tout est
faux, puisque j'y suis: nous avons en face de nous l'armée française, le
Bima, ou alors ce sont des Ivoiriens aux visages pâles et aux yeux
bleus. Ils attendent le soir pour que les hélicoptères viennent nous
canarder. Je ne sais pas quelle est leur stratégie, mais c'est de la
lâcheté. Mais dans toutes les guerres, c'est pareil. La guerre ne se
fait pas seulement avec des armes, mais aussi avec des images. J'ai
filmé les corps des jeunes qui tombent du côté de l'armée pro-Alassane,
j'ai tout filmé: les liasses d'argent qu'ils ont dans les poches, ce
sont des faux, comme on fait au cinéma. Le premier billet de la liasse
est vrai, et à l'intérieur, il n'y a que du papier. Si on est réduit à
payer des mercenaires avec du papier...
Pourquoi vous engagez-vous de la sorte au risque de votre vie ?
Je n'ai plus l'âge de ces gamins que je filme. Nous, les Soninkés, nous
avons un âge auquel nous n'avons pas le droit de parler. Or, à mon âge,
parler est un devoir. Des deux côtés, il y a de l'exagération. Quand
j'entends sur la RTI que celui qui est en face est un étranger, alors là
je dis non ! C'est un candidat à la présidentielle. Si on va sur ce
terrain, alors moi aussi je suis visé.
Vous reproche-t-on le fait que vous soyez du Nord dans l'entourage de Gbagbo?
Le premier qui me dit que je suis un étranger, je lui donne un coup de
pied ! Je suis né Français en 1949. L'indépendance m'a trouvé ici. J'ai
une patrie, la Côte d'Ivoire. Je ne vais pas faire comme d'autres
artistes et aller me planquer à Paris! Je dois être là où ça se passe.
Tout est faux ! Tout à l'heure, je repartirai filmer sur le front! Si le
Burkina avait été agressé comme l'est la Côte d'Ivoire, si la France
avait été agressée comme l'est la Côte d'Ivoire, j'aurais aussi filmé !
Le poison de l'ivoirité n'a-t-il pas détruit la Côte d'Ivoire?
Je suis le premier à le dire ! Quand la hyène veut manger son petit,
elle l'accuse de sentir la chèvre. Ce n'est pas Gbagbo qui a amené
l'ivoirité. Laurent Gbagbo, un Bété, a écrit en 1971 un texte intitulé
Soundjata, lion du Manding. Son héros, c'est le premier empereur de
l'Afrique de l'Ouest. Et dans cette pièce, il écrit souvent: ''Plutôt la
mort que la honte''. L'ivoirité, j'en ai moi-même été victime en 1992
quand on m'a considéré comme un pestiféré dans mon pays, parce que
j'étais l'ami d'un opposant à Houphouët-Boigny, ce même Gbagbo qui a
fait mettre toutes mes affaires dans un conteneur pour que je reparte en
France. Il y a eu dans les journaux des pages d'insultes à mon égard,
sous le seul prétexte que je ne serais pas Ivoirien, mais Mandingue,
Malinké, Soninké. Ils n'avaient pas d'autres arguments. C'est de
l'incompétence, de la jalousie, de la faiblesse que de dire celui-là
n'est pas Ivoirien. Laurent m'a dit de ne pas répondre et je suis
reparti en France. A table, un jour, quelqu'un m'a posé la question de
mes ''horizons''. Laurent s'est fâché, il a été blessé à ma place, et a
répondu: ''Vous ne savez pas qu'il vient d'Abengourou''? Je suis né dans
cette ville, chez les Agnis, en pays akan. Je considère cela comme une
richesse. Tenez, il y a un jeune écrivain ivoirien, Koffi Kwahulé, qui
écrit pour la Comédie française. Il est Baoulé de père et de mère et il
est né à Abengourou comme moi. Et voilà que les écrivains ivoiriens se
réunissent pour dire qu'il est Ghanéen ! Pourquoi ? Aucun d'eux n'arrive
à sa cheville! Je peux vous dire que tout ce qui a été dit contre
Ouattara, toutes ces années de rejet, c'est terrible. Je me bats, je
suis au feu, je prends des risques... Vous savez, on dit chez nous:
''Donne tout à l'étranger''. Il y aurait une psychanalyse à faire, une
histoire à raconter. Quand les Akans sont venus du Ghana en suivant la
reine Pokou, le peuple Baoulé est né. La Reine Pokou a sacrifié son
enfant pour passer en Côte d'Ivoire. Comment peut-on traiter les Akans
d'étrangers? Il faut que nous nous asseyons dans ce pays pour résoudre
le problème de l'Ivoirité. Le jour où les petits Ivoiriens auront appris
à l'école à quel point ils sont riches de leurs origines, nous aurons
une nation. Pour l'instant nous n'avons pas de nation, mais un peuple
dont on ne s'est pas occupé sérieusement pendant cinquante ans.
Que reprochez-vous à Alassane Ouattara?
Je ne lui reproche rien, à lui. C'est mon frère aussi. Le problème
politique qui est posé, avec les élections, je le regarde simplement, je
l'observe. Je ne dis rien. Tout cela ne mérite pas qu'on s'arme pour
venir bousiller tout le monde. Mais les gamins sont obligés de se battre
parce qu'on a en face de nous, il y a des blancs qui ont fait de
Laurent Gbagbo, un monstre. On peut tout lui reprocher, sauf l'Ivoirité.
Je souhaite qu'ils s'apaisent tous les deux. Il faut que nous, les plus
de 50 ans, cessions d'être égoïstes et pensions aux enfants, les jeunes
qui font 70% de notre population et qui se battent et tombent
aujourd'hui.
Une manifestation contre la RTI menée par les partisans de Ouattara
n'a-t-elle pas été réprimée dans le sang, le 16 décembre 2010 ?
Il arrive que dans les manifestations, quand des tirs interviennent, il y
ait une riposte. Voilà dix ans que nous sommes dans le sang. Nous avons
un Président qui est l'un des plus démocrates du continent. Il a une
démocratie qui est en avance. Il y a la liberté d'expression ici. Les
discussions ici dans son entourage portent plutôt sur le fait qu'il ne
sévit pas assez. Il n'est pas assez dur. Avec le pouvoir, il faut être
beaucoup plus dur. Il y a eu des exactions de tous les côtés, on a
découvert un charnier énorme à Duékoué. On ne va pas dire que Gbagbo est
allé encore faire un charnier là-bas! Si les Ivoiriens ne voulaient pas
de Gbagbo, ils se lèveraient, et il s'en irait. Si ce sont d'autres
gens qui dictent son départ, il ne partira pas. A sa place, je ne
bougerais pas. Quand on n'est pas d'accord, on doit être capable de dire
non. J'ai des échos de l'Occident. Je peux vous dire qu'il n'est pas
question d'exil. Personne n'a fui, tout le monde est ici. Quelquefois,
des tirs tombent dans la cour, mais ça ne fait peur à personne. Laurent
Gbagbo dérange, comme Sékou Touré, comme Sankara, comme Lumumba, parce
qu'il tient le langage de la souveraineté.
A-t-il peur de poursuites devant la Cour pénale internationale ?
On peut lui attribuer tout ce qu'il n'a pas fait ! On a vu ce qui s'est
passé avec Saddam! Les armes de destruction massives en Irak, on ne les a
jamais vues... L'Occident n'arrête pas de se contredire. Aujourd'hui,
on conteste ce qui s'est passé au Vietnam, en Irak. Ici, Obama avait été
fêté comme un dieu, et certains ont tatoué son nom sur leurs bras. Mais
Obama est un Président de l'Amérique de droite, point barre. Comme Kofi
Annan, qui n'a fait que combattre l'Afrique, ils sont aux ordres et
n'ont pas de pensée africaine.