Paris. Lavoir Moderne Parisien.
Mercredi 20 avril 2011. 20h.
Première partie: Bruno Chevillon/Jean-Marc Foltz
Deuxième partie : Sylvaine Hélary Trio + invités
La photographie de Bruno Chevillon est l'oeuvre du Malicieux Juan Carlos HERNANDEZ.
Honte sur moi ! C’est la première fois que je viens à un concert au Lavoir Moderne Parisien. Non seulement, c’est une vraie salle mais, en plus, j’ai la place pour étendre mes jambes. Avec mes mille huit cent cinquante millimètres de haut, c’est la première fois que cela m’arrive. La scène ressemble plus à un atelier de bricoleur qu’à une scène pour musiciens.
Bruno Chevillon : contrebasse
Jean-Marc Foltz : clarinettes
Bon, ben, c’est du Free Jazz (du « Jazz frit » comme dit Martial Solal). Beaucoup de silence ponctué par des traits brefs de la clarinette et longs de la clarinette basse. Cette musique est pure et exigeante. Ils doivent pouvoir dialoguer des heures comme ça. Pas de structure fixe, pas de borne, pas de limite. Ca coule comme une rivière avec des sautes d’humeur, plutôt calme mais s’agitant parfois. Soit vous restez au bord à la regarder passer soit vous plongez dedans et nagez heureux comme un poisson dans l’eau. Le public a manifestement choisi la deuxième option. Très beau final decrescendo, feutré, millimétré.
La clarinette basse grogne doucement comme une rumeur d’éléphant alors que la contrebasse fait le vol des insectes. Les insectes qui tournent autour de la tête de l’éléphant, évidemment. Beau solo de contrebasse à l’archet entre porte qui grince, insectes et fuite du temps. Le duo insectes/éléphant se reforme, animal et mystérieux. Ca monte doucement en puissance : bruits de port, de moteur de bateau, de mer. Magique, vous dis-je.
Ils ont retenu un truc de Miles Davis : travailler sur le son et les silences plutôt que sur la vitesse d’exécution. Ca chante. Une comptine abstraite, étrange mais ça chante. Le public, venu en nombre, est captivé. Cela se sent. Nos esprits suivent les caprices des arabesques de la clarinette basse alors que la contrebasse marche tranquillement et fermement. Les musiciens ne disent rien. Ils jouent. Cela suffit à nous parler. Je retrouve les haubans qui claquent, le murmure puissant de la mer, les craquements de coques de navires. Solo de contrebasse grave de menace et d’étrangeté. Passage à la clarinette, jouée toutes clefs fermées, faisant un bruit de feu qui crépite en douceur. Le tout sans appareillage électro technique bien sûr. Jouer de la clarinette un genou à terre, vers le haut, en bouchant tout, il y a de quoi rendre fou un amateur du « Concerto pour clarinette » de Mozart ou lui faire découvrir un autre monde. Solo de clarinette très clair, très doux dans la lignée de Jimmy Giuffre et André Jaume. Bruno Chevillon joue des percussions avec ses doigts en haut du manche de la contrebasse. Il y a bien une pulsation mais pour le moins étrange. La clarinette accélère légèrement. Retour à un jeu plus classique de la contrebasse. Enfin, classique à la façon de Bruno Chevillon. Retour à la clarinette basse sur le même thème mais joué plus grave évidemment. Un long silence avant que nous n’osions applaudir. C’est dire la qualité, la densité de cette musique.
Retour à la clarinette. Les cordes de la contrebasse vibrent sous l’effet de deux archets glissés le long des cordes, de bas en haut. Ca fait le son du vent dans les bois, les bois d’où vient le corps de la contrebasse. La clarinette fait l’appel du loup à la lune. C’est la forêt vosgienne, la nuit, en plein Paris. Très belle berceuse propre à stimuler les rêveries des petits et des grands.
Boïng font les cordes de la contrebasse sous les doigts et l’archet de Bruno Chevillon. Clarinette tout en douceur, elle. Puis ça change. La clarinette vrille et me fait mal aux tempes. Cela me rappelle la définition de la clarinette par Ambrose Bierce dans sonDictionnaire du Diable : «Clarinette : instrument de torture utilisé par une personne qui a du coton dans les oreilles. Il y a deux instruments qui sont pires qu'une clarinette - deux clarinettes . »
Retour à la clarinette basse. Ca gronde et vibre en symbiose entre la contrebasse à l’archet et la clarinette basse. C’est au tour de la clarinette basse de crier maintenant. A quoi bon ? la contrebasse, elle, vibre superbement sous l’archet.
En résumé, un dialogue de très haut vol, parfaitement maîtrisé entre deux Maîtres de leurs instruments respectifs, tel est le duo Bruno Chevillon/Jean-Marc Foltz.
PAUSE
Sylvaine Hélary : flûtes, chant, MC
Antonin Rayon : orgue Hammond, glockenspiel
Emmanuel Scarpa : batterie
+
: clavier
: voix
Ce trio compte quatre musiciens. Tels sont les mystères de la musique et des femmes du temps présent. Après un discours cosmi comique, Sylvaine Hélary se lance dans un joli solo de flûte traversière. Aigu, joyeux, chantant. L’orgue Hammond et la batterie viennent ajouter leur pulsation. Il y a des sonorités de guitare électrique dans le jeu de clavier, du rock anglais là-dessous. Dans le jeu du batteur aussi. Influence de Jethro Tull ? Pas sûr vu que le flûtiste était lui influencé par un Jazzman, Rahsaan Roland Kirk. Contraste entre la légèreté de la flûte et le poids de la rythmique. Sylvaine utilise des pédales ce qui lui permet de se mixer en direct et de danser sur place. Qui s’en plaindrait ? La rythmique arrache tout sur son passage. Pourquoi les filles devraient-elles jouer gentiment et joliment ? Préjugé sexiste ! Ca bidouille sévère entre les claviers. Ca sonne dur, viril. Cela me rappelle la flûte de Dave Liebman puis Sonny Fortune chez Miles Davis entre 1973 et 1975. Il y a bien un côté atelier du bricoleur dans cette musique comme le montre le dispositif scénique. Le deuxième claviériste s’en va.
Sylvaine Hélary chante en français, fort joliment, des paroles surréalistes : « Allongée sur le vide » avec un groove mystérieux derrière. Ca groove, baby. La flûte vole au dessus. Les paroles ne sont pas faites pour la radio. Non qu’elles violent l’ordre public et les bonnes mœurs mais elles sortent trop de l’ordinaire. Je n’y comprends rien mais peu importe puisque je hoche la tête joyeusement. Comme disait Johny à propos de Sylvie : « Cette fille là, mon vieux, elle est terrible ». La musique, le chant deviennent étranges comme le sujet, la mort.
Sylvaine Hélary fait des petits trucs sur scène que je laisse à mes lectrices curieuses et à mes lecteurs avides de savoir le plaisir de découvrir lorsqu’ils iront à son prochain concert. Elle chante une petite histoire joyeuse, mais pas tant que cela, « d’hirondelles, ils riront d’elle ». C’est le « Vertige » une musique vertigineuse comme des montagnes russes.
S’ensuit « Ailleurs ». Un homme vient se mettre debout face au mur, devant un micro que je n’avais pas vu. Il nous tourne le dos, nous parle dans une langue d’ailleurs, orientale j’ai l’impression. Derrière le groupe produit un son digne d’une attaque aérienne. « I must go now » et le diseur s’en va. Le batteur fait grincer une cymbale avec une baguette. Du brutal, du doux s’entrechoquent. Au final, retour au « Ailleurs » du départ.
Un groove tranquille s’installe. Le batteur est aux balais. Phase de calme après l’agitation du morceau précédent. Le glockenspiel s’ajoute. La demoiselle danse sur place au rythme de la musique. Solo de batterie entre explosion et retenue, bien construit. Après la flûte basse, retour à la flûte traversière. Il y a dans cette musique une fantaisie, un défi aux convenances qui devraient, je pense, plaire aux enfants. Il n’y en a pas dans le public pour en juger. En tout cas, ça s’amuse bien sur scène. Le public ne s’ennuie pas non plus. Il y a un grain de folie dans ce groupe qui le rend original, intéressant et qui manque à tant de musiciens aujourd’hui (non, je ne donnerai pas de nom !). Il y a de plus une superbe technique du jeu de flûte héritée d’années de conservatoire et de pratique de la musique classique. Un son pur, propre, droit.
Avec Michel Edelin, André Stocchetti, Sylvaine Hélary, la flûte est en chantier. Visitons leurs palais imaginaires en construction. Ca vaut le détour comme disent les guides touristiques.