Ca ne m’arrive vraiment pas souvent, mais hier soir, j’ai réservé mon fauteuil pour une soirée devant la télé. La dernière fois, c’était pour le 8ème de finale retour de la Ligue de Champions opposant les Merengue à l’OL. Et tout doit être prêt à l’heure dite : dès lors, comme le célèbre diction trouvé parfois sur la devanture des bouchons lyonnais, rien ne doit plus me déranger… le téléphone est débranché, tout doit être à portée de la main, télécommande, papier, stylo, mousse… Et c’est parti pour 3 heures 30 de haute voltige, le grand bal des menteurs…
Daniel Leconte raconte à sa manière la grande saga Clearstream qui a defrayé la chronique politique et judiciaire depuis 2001. Clearstream, point de départ général, est une banque luxembourgeoise un peu spéciale, une chambre de compensation, une banque de banques, en fait une monstrueuse machine à laver permettant entre-autres aux établissements financiers bien lisses et proprets de se livrer via des filiales dans les paradis fiscaux à des activités disons «lucratives»…
Une liste de comptes circule et va tomber entre des mains expertes aux multiples facettes, pour devenir l’instrument d’une lutte de pouvoir délirante au possible. On y trouve à boire et à manger, et à peu près tous les personnages et les évènements des dernières décennies. Donc sur fond de lutte pour la domination du marché de l’armement, des frégates taïwanaises, de la mort plutôt brutale et sujette à interrogation de Jean-Luc Lagardère, du Karachi Gate, de haute finance (dont la gestion de la fortune de Ben Laden) et de corruption généralisée et à grande échelle, du renseignement et d’anti-terrorisme, 2 protagonistes crèvent l’écran : Imad Lahoud, mathématicien et financier, et Jean-Louis Gergorin, vice-président d’EADS, qui a visiblement des comptes à régler, d’abord vis-à-vis de ses concurrents dans le monde de l’armement, puis dans le milieu politique… Apparaissent aussi dans les listings falsifiés, au fur et à mesure des évènements, des mafieux, oligarques, journalistes, policiers, juges et haut-fonctionnaires, et bien sûr quelques politiques dont celui qui n’est alors que ministre des finances mais appelé à la consécration suprême. En même temps, le petit jeu du poker menteur se met en place, et chacun va consciencieusement brouiller les cartes au point que la vérité disparaisse purement et simplement. Un «c’est pas moi c’est lui» appliqué digne de l’école maternelle.Cela va paraitre prétentieux, mais cette affaire, pour moi, est somme toute limpide : ce n’est qu’une grossière lutte de pouvoir, un combat de coq par valets interposés entre 2 clans qui veulent chacun la mort politique de l’autre. Cette affaire aura permis de mettre à jour les turpitudes ahurissantes des élites servantes de nos décideurs, et de monter un visage inquiétant du Chef de l’Etat actuel, n’hésitant pas à commenter et intervenir dans le cour de la justice contre tous les usages. De son côté, Dominique de Villepin est loin d’être net dans sa posture de victime accroché à son croc de boucher, prisonnier maintenant d’une stratégie de défense qui lui interdit tout revirement, au risque de se décrédibiliser complètement pour 2012. A ce point du dossier, tous les initiés, la classe politique, les protagonistes savent que le premier qui livrera la vérité est mort.
Dans ce contexte, comment interpréter le scoop final laissé par Imad Lahoud, l’homme aux 15 versions, à la fin du film ? Le réalisateur Daniel Leconte ne dit rien, il nous laisse juge. Au terme, les bras m’en tombent, et pas que de lassitude. Le jugement en appel, fixé du 2 au 26 mai avec un délibéré jusqu’en septembre, va sans nul doute peser fortement sur l’échéance électorale à venir. Mais quoi qu’il en ressorte, aucun de ces voyoux n’aura ma voix. Si vous avez 3h30 à tuer, cela vaut le coup à visionner….
Pendant ce temps, la lessiveuse continue son office, toujours en silence.