Un jour que je flânais au Jardin des Plantes, en quête d'une distraction quelconque, mon attention fut attirée par les mouvements d'un petit enfant, fort bien habillé, qui, avec une sollicitude qui m'étonna, donnait à manger aux petits oiseaux. Son père, un vieillard, lui achetait de temps à autre un gâteau ; et il l'émiettait le long des allées à la grande joie de la gent volatile.
Après un rapide examen de l'enfant, il me fut facile de saisir, sur sa petite figure, une expression de douleur indéfinissable. Me doutant qu'il avait dû se passer quelque chose de grave dans sa vie, et assez intrigué, j'ose le dire, je m'approchai en ayant soin de me munir de gâteaux que je mis à émietter pour me faire remarquer, puis je luis dis à brûle-pourpoint :
- Vous aimez donc bien les oiseaux ?
Il tourna les yeux vers moi. Si vous aviez pu voir cette jolie petite face entourée de boucles blondes, cette figure créée pour le rire... On se sentait pris à la gorge par l'impression de douleur qui y était marquée. Les joues étaient sillonnées par les pleurs, et sur le bord des paupières, une larme furtive brillait. Il répondit à ma question d'une voix à peine perceptible, tremblante :
- Ah ! si vous saviez ! me dit-il.
Je m'enhardis.
- C'est donc bien grave ?
Il me répondit :
- Hélas !
La petite larme descendit le long des joues, suivie de plusieurs autres. Après plusieurs phrases banales, je le décidai à me raconter son histoire. Voici à peu près ce qu'il me dit :
- J'avais, il y a quelque temps, une petite soeur, elle s'appelait Nina, elle m'aimait !!! monsieur, oh oui ! elle m'aimait !... Et moi, je le lui rendais bien. Pauvre petite soeur !
Il s'arrêta pour pleurer.
- Elle était douce et tendre, mais, par malheur, elle était malade, et le médecin était venu. Curieux je m'étais caché derrière un paravent pour écouter. Le médecin disait : "Elle est atteinte d'une maladie terrible, plus d'espoir !..." et, désignant les fleurs qui étaient sur notre fenêtre : "Aux premiers bourgeons !" Je ne le crus pas, tout d'abord, mais le mal empirait de jour en jour. Le médecin avait prédit qu'elle mourrait aux premiers bourgeons ; eh bien ! il fallait empêcher les bourgeons de pousser ; c'est pourquoi, quand mère n'était pas là, je regardais les bourgeons et les coupais aussitôt... Mais j'en ai laissé passer, sans doute, puisqu'elle est morte !!
"Pour en revenir aux oiseaux, ma Nina bien-aimée avait pris en affection une jolie mésange bleue qu'elle avait apprivoisée et qui faisait sa joie. Lorsqu'elle vint à mourir, la mésange resta sur le lit mortuaire et ne voulut pas le quitter. Quand on fit l'enterrement, la mésange resta perchée sur un panache du corbillard. Au cimetière, elle se mit au bord de la fosse. On parvint à la reprendre et on l'emmena chez nous ; mais quand on ouvrit la fenêtre elle disparut avec un cri plaintif. Le lendemain, nous allâmes au cimetière, et nous vîmes, sur la tombe, le corps de la pauvre mésange bleue morte de froid et de faim.
"Voilà pourquoi...
A ce moment, le père de l'enfant s'approcha de nous et avec un sourire forcé, il nous dit qu'il était fâché d'interrompre notre conversation mais qu'il était temps de partir. L'enfant me fit un petit salut gracieux et me quitta.
Je sortis de ma poche un mouchoir pour essuyer une larme.
W. D.