Kazu, propriétaire d’un grand restaurant de Tokyo, a gardé, malgré la cinquantaine, une grande beauté. Sa clientèle se compose des personnalités les plus variées. A l’occasion d’un banquet, Kazu fait la connaissance d’un ancien ministre, Noguchi. Elle, qui se croyait à l’abri des aventures amoureuses, finit par l’épouser. Mais, entre l’intellectuel idéaliste et la femme d’affaires, pratique et indépendante, la vie conjugale va faire apparaître d’insolubles conflits.
Mishima, ce romantique
De son vrai nom Kimitake Hiraoka, l’auteur bénéficia pendant longtemps d’une renommée internationale, notamment en Europe et aux Etats-Unis. Admirateur d’Oscar Wilde et des classiques japonais, il se forge une solide culture littéraire agrémentée par les nombreux voyages qui ponctueront sa vie ; avouant lui-même qu’ils représentaient une occasion de rattraper sa « lâcheté » lors de la Seconde Guerre Mondiale, puisqu’il avait prétendu souffrir de la tuberculose afin d’échapper au front. Au sortir de la guerre, c’est l’effervescence littéraire et la plupart des textes traitent alors de celle-ci, des souffrances et de la mort, des héros et des martyrs, des vainqueurs et des vaincus… Mishima, mal à l’aise face à un tel thème, choisit de prendre les cercles littéraires à contre-pied et choisit de mettre en scène, dans Confessions d’un masque (1946), un personnage qui a bien du mal à dissimuler correctement ses pulsions homosexuelles. C’est là un immense succès, mais il orientera également l’ensemble de sa carrière.
Y. Mishima a été un auteur on ne peut plus prolifique qui n’aura eu de cesse de coucher ses ressentis sur le papier, et ce jusqu’à sa mort par seppuku. Son oeuvre, incroyablement fournie, se compose de près d’une centaines d’ouvrages, regroupant à la fois romans, nouvelles, essais, pièces de théâtre… Mais l’homme est lui-aussi un homme étonnant : tiraillé entre modernité occidentale et traditionalisme japonais, hétérosexualité officielle et homosexualité officieuse, une constitution chétive qu’il ne supporte pas. Néanmoins, Y. Mishima demeure surtout une icône du sentimentalisme romancé, des histoires d’amour fleur-bleue et de caractères bien trempés ; ce qui rend ses personnages terriblement dynamiques, droits et attachants.
La féminisation politique
Après le banquet (1960) est un roman à part dans l’oeuvre de Y. Mishima. En effet, l’auteur, qui joue à l’habituée sur les cordes des souffrances silencieuses, imagine le personnage de Kazu, une veuve énergique, indépendante et d’une force de caractère propre à celle des grands restaurateurs. A plus de cinquante ans, elle est en proie à une certaine solitude et, comme c’est souvent le cas chez les japonais, redoute de finir seule dans une tombe dépourvue de renom. Proche des élites intellectuels qui apprécient de se prélasser dans son restaurant, elle fait la rencontre de Noguchi, un ancien ambassadeur d’une droiture à toute épreuve et fort d’un idéalisme extrême. Rapidement, les deux opposés s’attirent, et Kazu ne tarde pas à imaginer son nouveau mari conquérir le pouvoir politique.
En choisissant de mettre en scène deux « seniors », Y. Mishima renonce au jeunisme romantique qui caractérise souvent la littérature sentimentaliste habituelle et veut croire dans un amour au-delà des limites fixées par le corps. De fait, leur relation ne peut en être que moins dramatique mais pas moins vive : si leurs deux situations financières sont stables, les frictions qui résultent de caractères diamétralement opposés nous émerveillent. Le style limpide de l’auteur, frais et sans fioritures, retranscrit cet état d’apaisement de l’âme propre aux personnes d’expérience et sachant apprécié le spectacle d’un paysage enneigé ou des fleurs de cerisiers. En à peine deux cents pages, Y. Mishima parvient à déployer l’ensemble des concepts qui animent une vie humaine : la volonté de réussir, la morale, la modernité compulsive, le traditionalisme passif, un idéalisme restreint aux fantasmes…
Conclusion |
Après le banquet dépeint la fresque d’une fin de vie qui prouve que la vieillesse n’est pas synonyme de régression. La romance se mêle à la politique, deux entités que Kazu prend à la légère et dont elle confond les ambitions, pourtant si distinctes l’une de l’autre. Au final, une question demeure : y’a-t-il prédominance de l’esprit (Noguchi) sur le corps (Kazu) ? Et bien, comme pour la quasi-totalité de son oeuvre, Y. Mishima tend à trancher pour le second car, comme le dit le proverbe japonais, il n’y a pas d’esprit fort sans un corps puissant.