Enfermé dans une cabane en plein désert, Luke Devereaux, auteur de science-fiction en mal d’invention, invoque désespérément sa muse – de toute évidence retenue ailleurs – quand soudain… on frappe à la porte. Et un petit homme vert, goguenard, apostrophe Luke d’un désinvolte « Salut Toto ! ». Un milliard de martiens, hâbleurs, exaspérants, mal embouchés, d’une familiarité répugnante, révélant tous les secrets, clamant partout la vérité, viennent d’envahir la Terre. Mais comment s’en débarrasser ?
Mars Attacks ! (préprod)
Fut un temps où la science-fiction se révoltait à l’idée de s’éloigner de réelles découvertes scientifiques, de ne pas se baser sur des théories évoquées par la NASA ou tout autre organisme ayant les moyens de les concrétiser… Or, c’est en pleine période de Guerre froide qu’apparaît une vague d’auteurs atypiques dont la volonté est celle de prendre à contre-pied les fantasmes les plus farfelus quant à la potentielle existence d’une forme de vie étrangère. Frederic Brown est l’un de ceux-là, fort de près de 200 nouvelles et romans et lauréat du prix Edgard Allan Poe, précurseur des « short short stories » alors publiées… dans Playboy. Rapidement, il fait de l’humour son fer de lance et du ridicule son bouclier.
En découvrant ces petits êtres verts, dont la taille varie entre soixante et quatre-vingt centimètres sans qu’on ne sache s’il s’agit d’une différences due au sexe ou à l’âge, c’est bien évidemment avec le film de Tim Burton, Mars Attacks !, que se dresse un sympathique parallèle. Délicieusement sadiques et insupportables, vulgaires et omniprésents, ceux de Brown ne s’encombrent d’aucune sorte de soucoupe volante et préfèrent un moyen de transport bien plus pratique : le « couimage » ; que l’on pourrait traduire par « téléportation ». D’un jour à l’autre, un milliard de ces martiens (ou vénusiens, qu’en sait-on vraiment ?) envahit la Terre sans autre but que d’enquiquiner ses habitants jusqu’à les rendre fous. En effet, ceux-ci se téléportent n’importe où sans prévenir, assènent l’individu d’un « Salut Toto ! » ou « Salut Chouquette ! » et, pire, sont impalpables. Il va sans dire que pour Luke, auteur de SF en panne d’inspiration, ces petits êtres n’aident en rien : non seulement le genre devient désuet mais, de surcroît, il lui est impossible de se concentrer.
L’humain est un cliché
En vérité, les martiens se rendent coupables d’un fait bien plus grave encore : être incapables de mentir ; ou, tout du moins, ceux-ci se font un point d’honneur à toujours dire la vérité. Alors que F. Brown, au coeur d’une guerre froide qui s’éternise (1955), nous sert une vision archi-caricaturale de l’ogre russe communiste toutes les dix pages, il imagine des martiens dont les commérages excluent toute possibilité de secrets d’Etat, de stratégies militaires ou propagandistes. Désormais, les bombes H ne sont plus braquées sur les territoires étrangers mais sur un martien patientant dans le désert, ravi de participer à une telle expérience. Figure d’un monde qui n’aspire plus qu’à la paix, F. Brown propose que cette dernière nous vienne de l’espace et qu’on ait d’autre choix que de l’accepter.
En mettant en scène ces envahisseurs pacifiques, l’auteur pointe de nombreux problèmes de société et, notamment, la fragilité de nos systèmes sociaux et économiques. Une vague de martiens, ainsi, suffirait à bouleverser nos fondations les plus élaborées : le secteur du divertissement (littérature, télévisuel, radio…) n’aurait plus de raison d’être, les voitures deviendraient trop dangereuses (imaginez qu’un martien se plante sur votre pare-brise), l’essence ne se vend plus, les restaurants n’attirent aucune clientèle… Il n’y a guère que les psychiatres, quand ils ne deviennent pas fous eux-mêmes, et les hôpitaux qui parviennent à pratiquer ce pour quoi ils ont étudié. A cela s’ajoutent les incohérences d’une Eglise qui se révélerait incapable d’opter pour une position commune et des humains qui n’osent plus faire l’amour ; exception faîte aux Français, qui semblent s’accoutumer bien plus vite à la présence étrangère.
Conclusion |
Martiens, go home ! est d’autant plus efficace qu’il est servi par une écriture fluide, expérimentée et rythmée. Moins drôle et corrosif qu’annoncée, le texte demeure très « propre » et constitue un parfait divertissement. Le livre est également le reflet d’une société brimée par une Guerre froide qui n’en finit pas, et qui aspire à une paix sans conditions ; quand bien même serait-elle le fait de créatures de l’espace ! Un dernier conseil : ne lisez pas le post-scriptum, la « vraie » fin risque d’en décevoir plus d’un.