Un nouveau départ : Sukhoi livre le premier Superjet 100>.
La genčse fut longue, dix ans depuis l’annonce du programme ŕ la premičre livraison. Mais le Sukhoi Superjet 100, ex-Russian Regional Jet, n’est pas tout ŕ fait un avion comme les autres. Il est le premier représentant d’une nouvelle génération russe post-Guerre Froide, construite sur base de critčres profondément occidentalisés, symbole de la découverte et de la tentative de maîtrise d’un nouveau monde technico-industriel.
Le champ d’action du Superjet 100 est tout simplement le monde. D’oů, on le remarque d’entrée, une petite erreur psychologique de la premičre heure. A savoir que c’est la compagnie arménienne Armavia qui va le mettre en service avant d’autres, PME dont on ne sait rien ici, si ce n’est qu’elle a choisi de baptiser son premier appareil ŤYouri Gagarineť. Tout cela fleure bon l’ex-URSS, exactement le contraire de l’image commerciale que Sukhoi cherche ŕ construire, celle d’un avionneur résolument moderne, capable de rivaliser avec Bombardier et Embraer sur le marché trčs concurrentiel de l’aviation régionale.
Le défi, inédit, est de taille. Ce 100 places est issu d’un formidable bureau d’études , créateur d’avions de combat parmi les plus redoutables de la plančte. Les Forces aériennes de l’OTAN espéraient depuis ne jamais se heurter ŕ ces Su-27 et autres Su-30 capables de rivaliser avec les plus performants des chasseurs occidentaux. Aprčs les bouleversements géopolitiques qui ont fait s’écrouler l’URSS, Vladimir Poutine et ses amis n’ont évidemment pas renoncé ŕ l’idée d’une Russie militairement forte. Mais ils n’ont plus les moyens de leurs ambitions, les ingénieurs de Sukhoi continuent de se surpasser mais les commandes sont passées parcimonieusement.
Mikhail Pogosyan, charismatique patron de l’avionneur moscovite, au terme d’une analyse pragmatique de la nouvelle donne, a rapidement décidé d’entrer de plain-pied dans le civil. D’oů une révolution culturelle peu ordinaire, préparée avec soin avec l’aide de sympathiques parrains, partenaires de la premičre heure, qui y trouvaient leur intéręt. Sans doute pourraient-ils ainsi tirer profit d’un marché précédemment peu accessible, cela ŕ condition de bien se conduire. Pogosyan, pour sa part, a soigneusement évité de viser trop haut pour la premičre étape, choisissant le créneau du 100 places régional.
Pour la propulsion, d’entrée, il a bien joué en provoquant une alliance entre Snecma (qui connaissait déjŕ bien les données locales) et NPO Saturn. D’oů l’apparition d’une entreprise franco-russe, PowerJet, chargée de développer un moteur entičrement nouveau, le SaM 146, prometteur parce que s’appuyant de bout en bout sur l’état de l’art. L’avion est d’ailleurs doté de commandes de vol électriques, caractéristique technique qui vaut mieux qu’un long discours.
Pour le marketing, les ventes, l’aprčs-vente, Sukhoi choisit tout d’abord de s’entendre avec Boeing, une maničre de faire trčs haut de gamme. Mais, curieusement, cet axe Moscou-Seattle s’est discrčtement évaporé, permettant au groupe italien Finmeccanica d’entrer en scčne. Le résultat tient la route, en męme temps qu’il ne manque pas d’originalité. Par ailleurs, partenaires et grands fournisseurs sont en grande partie français, issus notamment du groupe Safran.
Reste, ŕ présent, ŕ imposer le Superjet. Armavia, placée trčs provisoirement sous les feux de la rampe, a été suivie par Aeroflot et quelques autres et un client mexicain. Le carnet de commandes porterait actuellement sur 160 exemplaires environ, ce qui est décent, sans plus. Des difficultés se sont présentées pendant le développement, le certificat de navigabilité russe a été décerné au Superjet 100 il y a deux mois mais celui de l’Agence européenne pour la sécurité aérienne se fait attendre. Ce qui n’est probablement pas bien grave, par rapport ŕ l’enjeu et aux perspectives ŕ long terme évoquées, jusqu’ŕ présent, avec une certaine discrétion. Mais on a compris que le biréacteur russe serait décliné en plusieurs versions dont l’une, ŕ fuselage allongé, permettant d’offrir une capacité accrue.
Il en résultera ŕ coup sűr de bien belles batailles, avec les Brésiliens et les Canadiens, bien sűr, mais aussi avec de nouveaux entrants aux dents longues, l’un chinois (ARJ 21), l’autre japonais (Mitsubishi Regional Jet), que rejoindront tôt ou tard un prétendant indien, voire un Fokker 100 susceptible de renaître de ses cendres. Cela fera peut-ętre beaucoup d’appelés pour peu d’élus.
Reste le fait qu’un constructeur capable de mettre au point des machines aussi redoutables que les Su-27, Su-30 et Su-35 n’a, en principe, peur de personne.
Pierre Sparaco - AeroMorning