André Juillard : Nous n’avons vraiment eu aucun problème avec les éditeurs. Ici nous avons décidé de le faire au Lombard car je m’étais engagé auprès d’Yves Sente, du temps où il était directeur éditorial. Mais Dargaud aurait voulu le faire. Il est possible qu’avant, des éditeurs aient eu peur que cela fasse polémique. Moi, je savais que Yann est sérieux. Quand il s‘empare d’un sujet, il l’étaye par une solide documentation.
Yann : Tout est vrai à 80% y compris les pilotes juifs qui ont combattu dans la Luftwaffe pendant la guerre, ce qui m’a donné l’idée de cette histoire. La difficulté était de trouver un équilibre entre le contexte historique très documenté et une histoire qui tienne par elle-même. Il faut faire des choix rapides car je n’ai pas le temps de tout explorer.
N’avez-vous pas craint que la thématique prête à la polémique ?
Yann : Je veux bien en discuter si quelqu’un trouve que l’album est antisémite. On m’a reproché que les pilotes juifs sont caricaturaux, agressifs, méchants, brutaux, les mercenaires plus sympathiques, purs, nobles, mieux dessinés. On peut voir de l’antisémitisme partout...
André Juillard : Que les mercenaires aient l’air en colère, on ne peut que les comprendre. Ils défendent leur pays et leur peau. Ils ont vécu directement ou indirectement des drames épouvantables. Ils peuvent difficilement être sereins et tournés vers l’avenir. Et ils ne sont pas tous comme cela. Leur commandant est un vrai chef de guerre. Les mercenaires n’étaient pas dans le même état d’esprit. Ils pouvaient être en effet plus détendus. Leurs enjeux n’étaient pas les mêmes. Ils étaient des aventuriers qui avaient besoin d’action mais qui trouvaient surtout que la paye était bonne. Une fois le conflit fini, ils partiront ailleurs.
Pourquoi une tournure tellement psychologique à ce récit de guerre ?
Yann : Si ça avait été avec un autre dessinateur, je n’aurais pas fait cette histoire là. Avec Romain Hugault j’aurais développé la partie aviation, plus de bases aériennes et de confrontation avec l’adversaire. André n’est pas un metteur en scène de combats aériens. Ce serait tombé à plat. Dans ses combats aériens, ses avions sont vraiment trop proches les uns des autres. Romain Hugault va me tuer quand il va lire l’album ! [rires] Du coup j’ai introduit davantage de personnages féminins et développé une intrigue plus psychologique. Avec le même pitch, on peut faire 10 histoires différentes, au moins 5 très différentes ! Je préfère donc m’adapter au dessinateur.
Vous aviez d’ailleurs déjà écrit une histoire sur ce thème dans un autre registre, non ?
Yann : J’avais fait une première version pour un autre dessinateur Marc Lumer il y a 22 ans. Je ne l’ai pas montré à André au départ. C’était très gros nez, au moment où je ne faisais que de l’humoristique. J’avais un traitement qui était entre les Innommables et Célestin Speculoos. J’avais été surpris au départ par le fait qu’Israël avait dû sa survie à des avions allemands. J’étais frappé par cette ironie de l’histoire. Mais 20 ans après c’est l’aspect psychologique du pilote de l’avion allemand que je trouve bien plus intéressant. Dans 20 ans je ferais encore mieux mais c’est trop tard c’est sorti ! [rires]
D’où vous vient cette passion pour les histoires d’aviation ?
Yann : Si je pouvais je ne ferais que cela. Depuis le début je propose de telles histoires mais cela n’intéressait pas les éditeurs. Grâce à Romain Hugault qui a dépoussiéré ce style, tout le monde en sort ! Gamin, je passais mon temps à réaliser des maquettes d’avion. Cette passion me vient sans doute de la lecture de Buck Danny ainsi que Tanguy et Laverdure, séries qui m’ont passionné. J’ai d’ailleurs essayé de reprendre Buck Danny avec un dessinateur qui faisait de l’excellent boulot. Mon scénario a été accepté par Dupuis mais refusé par le fils
André Juillard : J’ai toujours aimé les avions. J’avais un oncle pilote général dans l’armée de l’air. Je n’ai par contre jamais eu la patience de faire des maquettes, mais j’ai acquis une collection de modèles réduits parus chez Atlas. Et j’ai acheté tous les avions qui dataient d’avant les années 60. Après, ça m’intéressait beaucoup moins visuellement. Quand Yann m’a parlé de son histoire, je suis allé voir ma collection et j’ai retrouvé un Messerschmitt et deux Spitfires !
Propos recueillis par Manuel F. Picaud en avril 2011
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Photo et Interview © Manuel F. Picaud / Auracan.
Visuels © André Juillard et Yann / Le Lombard, collection Signé
Merci à Diane Rayer du Lombard