La BO de ce billet sera Darkness on the edge of town qui m'a accompagné ce matin de là-bas à ici. Dans la voix de Bruce Springsteen, dès cet opus déjà lointain, roulent les accents rauques et généreux d'une Amérique éternelle, celle des pionniers, de la Frontière, des luttes syndicales, du mouvement des droits civiques en Alabama, du mouvement des homosexuels de San Francisco, du rock qui allait dévaster le Vieux Monde plus surement qu'une faucille et un marteau ne le feraient jamais. Contemporain de Patti Smith (avec qui il signe le planétaire Because the night), de Lou Reed échappé du Velvet et de Neil Young, de l'éphémère mais légendaire Television de Tom Verlaine et Richard Hell, des New York Dolls et de quelques etc. mémorables, Bruce, The Boss, comme en son temps on surnomma Sinatra The Voice, voire The Dick, me semble devenu, avec le temps, le plus excitant témoignage de cette génération surdouée.
De ce sombre album composé et produit en 1978, dont les chutes, publiées l'année dernière sous le titre The Promise, se sont révélées un des assemblages rock utiles de 2010, j'extrais le titre le plus célèbre, d'abord le texte, puis, piqué à Deezer, l'enregistrement d'origine, qui m'étourdit toujours par l'énergie noire qui semble le consumer.
Et si l'Amérique de Springsteen n'était rien d'autre que le rêve continué des enfants qui n'ont pas voulu grandir ? Quelque chose d'utopique et rassurant, à cause des épaules et de la grosse voix du Patron.
Darkness on the edge of town
They're still racing out at the Trestles
But that blood it never burned in her veins
Now I hear she's got a house up in Fairview
And a style she's trying to maintain
Well if she wants to see me
You can tell her that I'm easily found
Tell her there's a spot out 'neath Abram's Bridge
And tell her there's a darkness on the edge of town
Everybody's got a secret Sonny
Something that they just can't face
Some folks spend their whole lives trying to keep it
They carry it with them every step that they take
Till some day they just cut it loose
Cut it loose or let it drag 'em down
Where no one asks any questions
Or looks too long in your face
In the darkness on the edge of town
Some folks are born into a good life
Other folks get it anyway anyhow
I lost my money and I lost my wife
Them things don't seem to matter much to me now
Tonight I'll be on that hill 'cause I can't stop
I'll be on that hill with everything I got
Lives on the line where dreams are found and lost
I'll be there on time and I'll pay the cost
For wanting things that can only be found
In the darkness on the edge of town
Bruce Sprinsteen
Un peu de lecture, aussi compulsive que toujours, pour continuer ce billet.
Le glossaire qui clot le Hors-Série Simone de Beauvoir, une femme libre du Monde présente à la lettre C l'entrée "Cafés, restaurants". Il est vrai que, du Métropole de Rouen où elle venait corriger les copies de ses cancres, aux Deux Magots où cette Reine trônait, Paris à ses pieds, la belle Simone n'était jamais très loin d'un verre ou d'une tasse de café. Je me suis permis de l'associer à une bouteille de Coca light car, même ici, on ne respecte plus rien. La proximité de l'anniversaire du Manifeste des 343 Salopes (je mets une majuscule à ces femmes que je respecte tant) m'a rapproché de cette ancienne jeune fille rangée qui est restée dans nos mémoires comme celle, par excellence, qui a mis le feu à un certain nombre de nos certitudes. Le hors-série du Monde révèle peu de choses sur celle qu'on n'appellera jamais "la compagne de Jean-Paul Sartre", sauf peut-être pour s'en moquer gentiment, à la manière de Boris Vian qui osa faire de cette Reine une Duchesse dans L'écume des jours. Mais il n'est jamais mauvais de se confronter à nouveau au Mythe et de retrouver ses classiques, quand ceux-ci ont tant et tant porté l'avenir. Conventionnel, mais utile.
Après l'association Coca-Castor, je persiste dans l'inédit en vous conseillant une publication du Figaro. Il y a peu, la polémique lancée par un Serge Klarsfeld qui fut mieux inspiré dans le passé et qui, à défaut de tracer un criminel de guerre nazi comme il sut le faire, gagnant ainsi notre sincère admiration, s'en est pris à un écrivain mort depuis 50 ans, dont la dangerosité s'est, avec le temps, quelque peu émoussée. Bref, Mitterand le Petit (comme il y eut un Napoléon le Petit pour Victor Hugo - non, je ne me prends pas pour le grand Victor, je ne suis ni tout à fait cinglé, ni tout à fait mort) a petitement suivi le courant majoritaire en expurgeant sa liste d'écrivains à honorer cette année, du nom maudit de Louis Destouches, alias Louis-Ferdinand Céline. Dans l'affaire, Klarsfeld ne s'est pas grandi et on pense qu'à son âge il serait mieux inspiré de surveiller la conduite ridicule de son sarkozyste de rejeton. Miterrand le Petit n'a pas haussé son prénom à la hauteur de son nom, mais qui en serait étonné ? Il a choisi d'être le ministre de la culture d'un Président qui hait la culture comme sa pire ennemie. Il faut savoir faire des choix. Bref.
Pour parler d'un écrivain d'extrème droite, un journal de droite était sans doute bien placé, encore que, sous la plume de Nelly Kapriellan, j'ai lu des choses fort intéressantes sue Céline, dans les Inrocks, il y a quelques semaines.
Reste que ce hors-série très documenté, notamment en photographies, mais aussi en anecdotes et petites histoires (ah, quel bonheur de lire enfin Luchini sur Céline, lui qui l'a dit si bien). Recommandable pour se rappeler un écrivain génial doublé d'un citoyen très ordinaire qui a écrit, certes, des saloperies, mais aussi quelques unes des plus belles pages du XX° siècle littéraire.
La photographie récèle des trésors qui ne nous ont pas tous été révélés. Après les Calotypes exhumés par la BNF il y a quelques mois, le Musée d'Orsay nous convie à Une ballade d'amour et de mort avec les photographes préraphaélites anglais. J'avoue ne pas être très excité par la peinture préraphaélite, qui me semble assez illustrative, ceci malgré les magnifiques développements à lire dans le dernier Houellebecq concernant Rosseti. Mais les photographes (parfois les mêmes que les peintres) sont en tout point passionnants. Je ne vais pas faire une thèse, incompatible avec le format de ce genre de billet fourre-tout, mais l'évanescence affectée des images exposées plonge le visiteur dans un onirisme empreint de spleen du plus bel effet. Deux noms sont à retenir : LA photographe (car ce courant esthétique et moral n'excluait pas les femmes) est Julia Margaret Cameron, dont les portraits au bord du collapse sont infiniment troublants ; et, une fois n'est pas coûtume, un modèle (qui fut bien plus que ça), Jane Morris, "une beauté étrange", qui figure, image de l'abandon sur la couverture (et en portfolio) du très beau numéro de L'estampille/L'objet d'art consacré à cette très belle exposition qui se poursuit à Orsay jusqu'au 29 mai.
D'Odilon Redon je sais peu. Ses images (je sais, le mot est faible, mais c'est celui qui me vient, s'agissant de créations de l'esprit fortement imagées) et j'attends de découvrir l'expo très excitante du Grand Palais. Quand on ne sait pas, quand on a besoin d'un Indicateur Bertrand artistique, on se tourne vers Télérama. Car Télérama sait les choses qui sont utiles et qui ouvrent l'esprit. Je n'ai pas eu le courage de lire les textes de ce hors série, mais son imagerie en toute liberté a excité mon imagination. De Redon, je connaissais les fondamentaux, notamment le rêveur éveillé et l'inspirateur des surréalistes. Télérama me donne envie d'en savoir beaucoup plus sur un artiste qui me semble reclus dans des contrées oubliées d'une création en dangereux décalage sur son temps.
J'aurais voulu présenter aussi le magazine Danser, mais je n'ai pas trouvé d'image. Et il est vrai que le magnifique numéro consacré en grande partie à Pina Bausch, à l'occasion de la sortie du très beau film de Wim Wenders, n'est plus que difficilement trouvable en kiosque. Mon envie d'évoquer cette immense artiste en ce mercredi soir, jour des sorties ciné, me pousse à vous proposer, en un seul mouvement, un extrait d'un très grand ballet et d'un très grand film, la danse et le cinéma ayant vocation depuis des lustres à connaître des noces sublimes. Hable con ella de Pedro Almodovar, chorégraphie de Pina Bausch, Cafe Müller. La fin de la vidéo est un peu abrupte, mais je vous la livre néanmoins comme quelque chose de précieux.
Pina Bausch - Parle avec elle par sansesprit
Ce billet aura été très sérieux, un peu empreint de spleen, peut-être. Ya des jours comme ça, et des soirs. Bonne semaine. Ce blog a l'air de moins vous plaire, vous êtes moins nombreux à me visiter. Vous êtes d'autant plus précieux.