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Assurer sa propre défense: un prisonnier en est-il apte?

Publié le 20 avril 2011 par Raymond Viger

Système carcéral et maladie mentale

Il faut d’abord être instruit et lucide pour prendre conscience des enjeux dont il est question lorsque que l’on se retrouve devant un magistrat pour faire face à des accusations.

Jean-Pierre Bellemare, prison de Cowansville. Chronique du prisonnier, Santé mentale

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Il faut posséder un minimum de jugeote pour être en mesure d’évaluer la portée de nos décisions. Quand je pense qu’environ 38 % des délinquants qui arrivent dans le système correctionnel canadien souffrent de troubles mentaux (mars 2010, Service correctionnel canadien), je me questionne.

Comment ont-ils eu accès à une justice pleine et entière alors qu’ils n’étaient pas en possession de leurs propres moyens ? Il serait plus approprié d’envoyer cette clientèle vulnérable dans un hôpital, là où ils auraient accès à des services de soins psychiatriques, au lieu de les incarcérer. La fonction première d’un pénitencier n’est pas de soigner mais d’emprisonner des délinquants. La mission du Service correctionnel canadien (SCC) comporte plusieurs volets dont la réhabilitation, prodiguer des soins psychiatriques n’en fait pas partie.

Adaptation difficile

Cette nouvelle catégorie de détenus qui gonflent les effectifs des pénitenciers fédéraux a de grandes difficultés à s’adapter. Il existe différentes règles de conduite non écrites qui entraînent des conséquences parfois graves pour ceux qui les enfreignent. Ces nouveaux arrivants, déboussolés, ne parviennent pas toujours à saisir la mécanique. Pour eux, cela représente un tout nouvel univers. Ils devront rapidement s’adapter pour éviter de sérieux problèmes. Ces prisonniers, difficilement contrôlables, augmentent significativement les risques pour tous ceux qui partagent leur quotidien.

Risque de tension

Ce ne sont pas les situations à risque qui manquent dans une prison fédérale. Par exemple, engager non-chalamment  la conversation avec un gardien alors qu’il transfert un prisonnier vers la détention est plutôt déplacé. Pénétrer dans une cellule qui n’est pas la sienne pour s’y  installer et s’offrir une tablette de chocolat est tout aussi périlleux. S’adresser à un criminel endurci en se payant sa tête devant ses amis est presque suicidaire. Il existe plusieurs situations similaires qui décrivent les dangers auxquels s’exposent certains délinquants souffrant des de troubles psychiatriques.

Une bonne partie de la population carcérale éprouve de sévères problèmes de drogues. Leur quotidien se limite souvent à chercher une substance quelconque pour oublier où ils sont ou qui ils sont. Ils ont de sérieuses difficultés à se supporter eux-mêmes, particulièrement lorsqu’ils sont en manque. Il est facile de deviner leur peu de tolérance à l’endroit des autres. Cette nouvelle réalité carcérale bouscule les habitués qui n’entendent pas beaucoup à rire. La détention s’est beaucoup transformée depuis la désinstitutionalisation des cas psychiatriques au Québec.

Notion du danger

Si la notion d’accès à la justice échappe aux délinquants souffrant de troubles  mentaux, il y a de fortes chances pour que la notion du danger auquel ils s’exposent durant leur peine dans leur échappe aussi. Ce manque de conscience entraîne des préjudices certains. Dans un cas, une condamnation alors qu’un internement pour des soins aurait été plus approprié et dans un autre, de sévères corrections ou agressions alors qu’une simple posologie ajustée de leur médicament aurait fait l’affaire.

Les prisonniers n’ont jamais remporté de palme pour leur savoir-vivre. Je suis triste de constater que les délinquants qui éprouvent des troubles mentaux se font parfois corriger de manière violente sans même comprendre ce qui leur arrive. Ils sont jugés et condamnés de manière expéditive à chaque fois qu’ils refusent de se conformer à ces fameuses règles non écrites qu’ils ne comprennent pas. Et une seule raclée est insuffisante pour corriger le problème.

Cette manière de résoudre les différends dans les pénitenciers pourrait expliquer, en partie, le taux élevé de suicides à l’intérieur des murs. Souffrant de troubles mentaux, ces délinquants n’arrivent pas toujours, sinon jamais, à trouver un sens à leur existence et surtout à la manière dont ils sont parfois traités par leurs codétenus.

Il me semble difficile, voire impossible, de demander aux prisonniers d’être plus tolérants et patients que ne l’est l’appareil judicaire lui-même à leur endroit. L’histoire de Simon Marshall (violeur en série innocenté suite à un prélèvement d’ADN) a révélé une réalité effroyable pour ceux qui sont incapables de reconnaître leur déficience.

Formation des agents correctionnels

Même les agents correctionnels, formés  pour  intervenir d’une manière précise avec une clientèle spécifique, doivent réajuster leurs méthodes d’intervention alors qu’ils ne disposent d’aucune formation adaptée pour ce genre d’approche. On ne peut pas demander à des agents correctionnels d’agir comme des infirmiers. Ils n’ont ni la formation ni les connaissances pour mettre en pratique les approches particulières liées aux différents cas psychiatriques.

Selon moi, quelqu’un a balayé le problème dans la cour de l’autre. Je crois que nous sommes face à une question sérieuse, celle de la négligence et de la non-assistance à personne en danger. Incarcérer de plus en plus de malades mentaux au lieu de les soigner est à mon avis une grave erreur de jugement.

Howard Sapers, enquêteur du Service correctionnel du Canada, a récemment affirmé dans les médias que son service est en train de devenir le plus grand hôpital psychiatrique du Canada (Le Journal de Montréal, septembre 2010).

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