Encore heureux qu’ici ou là on ne fasse pas de Pierre Bellanger le « père de la radio libre ». C’eut été malvenu... Ceci étant, clamer haut et fort, et à fortes doses, que Skyrock est une « radio libre » me fait doucement rigoler... A partir du moment où un média s’acoquine avec des annonceurs ET des actionnaires, il n’est pas libre. Oser dire le contraire relève du mensonge.
Or donc, l’éviction du créateur de Skyrock (anciennement La Voix Du Lézard) par l’actionnaire principal (Axa Private Equity) en cette année ô combien symbolique où l’on fête la liberté (d’émettre, donc itou : d’expression) permet bien des confusions et autres égarements, habilement entretenus, soi-dit en passant, par Pierre Bellanger lui-même.
Il était, faut dire, particulièrement tentant, de mêler les deux « évènements », de les lier, en disant, peu, prou, que : mon dieu, voyez ce qu’ils font de cette liberté, que nous avons chèrement acquise, trente ans plus tard ! On vous la vole ! On vous la spolie.
C’est oublier qui est Pierre Bellanger et qu’est-ce que Skyrock.
Pierre Bellanger n’a pas participé à ce que Thierry Lefebvre nomme « La Bataille Des Radios Libres ». Il n’a jamais été un « pirate des ondes » comme Antoine Lefébure (Radio Verte) ou Patrick Van Troeyen (Radio Nid de Coucou, Radio Ivre, etc.). En d’autres termes, il n’a pas œuvré pour que tombe le monopole d’Etat de la radiodiffusion, donc pour que la radio fût libre. Hormis un émetteur qu’il fournit, à ses frais, à une station qui n’émit que peu de temps (Radio Paris 80).
En réalité, Pierre Bellanger surgit après « la bataille ». Un peu comme ces résistants de la dernière heure. Et son irruption dans ce que l’on appelle les « radios libres » est intéressante.
Assez révélatrice du personnage.
Le 10 mai 1981, à 19h28, pour fêter l’élection de François Mitterrand, il lance (à Paris) sa première radio libre : Radio Cité Future.
Et où l’installe-t-il ? Sur le 96 Mhz.
Le problème ?
Cette fréquence était alors occupée par Radio Gulliver.
Voilà comment Pierre Bellanger, chantre, faut-il l’en croire, de la « radio libre » et de la « liberté d’expression » débute son aventure radiophonique, en boutant hors de sa fréquence une (petite) radio « historique » ce qui ne va pas manquer d’exaspérer quelques « pionniers » [2].
Croustillant, non ?
La suite l’est tout autant. Car à l’époque Axa Private Equity se nomme Le Monde.
Le quotidien dit « de référence » est, en quelque sorte, l’actionnaire principal de Radio Cité Future. Et il a ses exigences.
Dont une non-négociable : que Radio Cité Future respecte scrupuleusement la loi.
Or, quand le ministre de la Communication (Georges Fillioud) du premier gouvernement Pierre Mauroy (celui qui le 9 septembre 1981, grandiloquent, s'exclama : « Non, aux radios fric ! ») fixe les premières règles, Bellanger ne va pas s’y soumettre provoquant l’embarras et la colère de son actionnaire qui va … l’évincer.
Quelles étaient ces règles ?
Interdiction formelle de faire de la publicité, ne pas utiliser un émetteur dépassant les 100 watts. Or, Radio Cité Future disposait d’un émetteur d’un bon Kilowatt. D’autre part, Bellanger n’imaginait pas que sa radio ne puisse ouvrir son antenne aux annonceurs. Car il était activement favorable à l’introduction de la publicité, donc à la commercialisation des radios libres. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il fut exclu (décidément…) en 1980, de la FNRL (Fédération Nationale des Radios Libres) qui elle, s’y opposait. Partant du fait que sujette aux annonceurs, la radio ne pourrait plus être libre.
Il est donc clair, et ce depuis le début, que le but de Bellanger n’a jamais été de promouvoir la radio libre, pas plus de défendre une quelconque liberté d’expression, mais de faire du business.
Ce qui n’est pas honteux en soi, encore faudrait-il qu’il l’admette.
Pierre Bellanger n’est rien d’autre qu’un chef d’entreprise très bien rémunéré (620 000€ à l’année) à la recherche du profit, et qui, jusqu’ici, bon an, mal an, y était parvenu en se "maquant" avec de bons gros capitalistes comme Hachette-Filipacchi, Lagardère Active, Goldman Sachs ou Axa Private Equity. Or donc, entendre des politiques défiler au micro-chevet de Skyrock fustiger l’actionnaire et le grand capital, est un grand numéro d’hypocrisie, voire de foutage de gueule total.
Nonobstant, ce qui est assez remarquable, c’est que bien qu’étant constamment l’actionnaire minoritaire (c’est la première fois qu’il était aussi haut avec 30%) Bellanger aura pu, pendant 28 ans, rester le président exécutif de La Voix Du Lézard puis de Skyrock.
Mais qu’on ne vienne surtout pas nous dire, nous seriner plutôt, que Skyrock est une radio libre. Tant c’est un mensonge.
Skyrock est un produit radiophonique formaté qui vend et promeut d’autres produits (Coca, Nike, McDonalds, etc.). Rien de plus.
Ce n’est pas Radio Libertaire, L’Eko des Garrigues ou Radio Canut, qui elles, sont de véritables radios libres (et pour lesquelles personne ne bougera le petit doigt le jour où elles seront menacées de disparition).
Quant à la liberté d’expression, de quelle nature peut-elle bien être sur un tel support ? Sinon de l’ordre du défouloir, voire : du déversoir.
Reste la musique, ici le Rap et le R’nb.
D’autres que moi ont dit vertement ce qu’ils en pensaient, et à juste titre, dans la mesure où, Skyrock a fait plus de mal au Rap que de bien.
Si vous voulez entendre du Rap (ou du Slam) qui tienne la route, ce n’est sûrement pas sur Skyrock que vous le trouverez. Même FIP fait mieux !
Ceci étant, et hormis le fait que cette histoire n’aura été, en définitive, qu’une sombre affaire de businessmen, autant dire de personnages qui n’ont rien à faire de la « liberté » (sinon, la leur) il semble cependant évident que l’éviction de Pierre Bellanger, par Axa Private Equity, n’avait pas pour autre but que de se débarrasser enfin de Skyrock, soit de vendre.
Or qui peut acheter un tel produit, sinon NextRadioTV (RMC Info, BFM...) ou Bolloré (Berteslmann, les Groupe NRJ et Lagardère ne pouvant pas en raison de la loi anti-concentration) ?
Ce qui signifie que ce réseau FM aurait pu être effectivement happé (et vraisemblablement changer de format avec, c’est inévitable, des licenciements) par un autre groupe puissant, déjà omniprésent médiatiquement.
Bref, on ne saurait s’en réjouir.
A priori, une telle opération semble s'éloigner avec la proposition du Crédit Agricole, proposition qui rendrait à Pierre Bellanger le contrôle de Skyrock.
Une banque qui viendrait mettre un terme à cette rocambolesque affaire, avouez que, ça non plus, ça ne manque pas de piquant !
Mais qu'on ne s'y méprenne pas : c'est bien Bellanger qui vient d'être sauvé, pas la « radio libre », pas plus que la « liberté d’expression ».
[1] La loi n°81-994 du 9 novembre 1981 portera un petit coup de canif au monopole en accordant des dérogations d’émettre à des associations de type 1901 (et dans un rayon maximum de 30 kilomètres)
La seconde loi, n°82-652 du 29 juillet 1982 mettra, elle, fin au monopole d’Etat de la radiodiffusion.
[2] En fait, Radio Cité Future diffusait une boucle musicale. Assez travaillée. Originale. Mais c’était tout. Rien ne s’y disait.
Bref, c’était bien peu…
Or donc, ajouté au fait que Bellanger s’était approprié – et sans rien demander à quiconque – la fréquence de Gulliver, certains pionniers de « la libération des ondes » dirent tout le mal qu’ils en pensaient.
Ainsi Guy Hocquenghem dans le quotidien Libération en date du 17 juin 1981 qui, évoquant Radio Cité Future, tint ses propos :
« On ne dit rien, mais on occupe. C’est à nous ce morceau de fréquence, puisque comme les chiens nous avons pissé dessus ».