Histoire d’un Blood en Général
Gangs de rue à Calixa-Lavallée
Journal intime d’un membre de gang de rue qui veut s’en sortir. Histoire de Général, un membre de gang de rue qui a changé son fusil d’épaule. Reflet de Société raconte la vie dans un gang de rue à travers l’histoire de Général.
Dominic Desmarais Dossier Gang de rue
Le début de la guerre à Calixa Lavallée
À l’école, toute prétexte est bon pour provoquer l’affrontement. À la cafétéria, chaque gang avait sa section attitrée. Il suffisait qu’un membre aille dans la mauvaise section pour déclencher une mêlée générale. «On pouvait être dans un cours et apprendre qu’il y avait une bagarre dans les casiers. On sortait de la classe en courant pour aller aider notre frère», explique Général qui s’est aussi battu plusieurs fois pendant les cours, devant ses professeurs et les autres élèves. «Ça ne prenait pas grand-chose. Je me disais : c’est un Bleu, un ennemi de mon cousin, de mes frères, je le prenais personnel. Mes amis et moi, on voulait venger les plus vieux. Les Bleus pensaient comme nous.»
Après les cours, les bagarres se succédaient les unes après les autres. «Il y avait des bagarres presque tous les jours. Et toujours entre les mêmes gars. Il y a eu un ou deux morts. Des gens poignardés. C’est sûr que ça me stressait. Mais à l’époque, je n’avais pas peur de grand-chose. J’avais le cœur rempli de haine.» Le gang de Général, de même que celui de ses ennemis, arrivaient à l’école armés. Des fusils, des couteaux, des hachettes. «Ça se trouvait facilement. Le grand frère d’un des nôtres possédait des armes en quantité industrielle. On lui en empruntait et il ne s’en rendait pas compte. Avec le revolver, on se disait qu’on allait en passer un.»
La guerre contre les Bleus était devenue un mode de vie. «C’était mon quotidien. Chaque matin, je mettais mon bandeau rouge et je plaçais mon couteau entre ma ceinture et mes hanches pour me rendre à l’école.»
La loi du plus fort
Ses amis et lui en mènent large. Leurs ennemis aussi. Les autres élèves doivent faire attention de ne pas attirer les foudres de ces adolescents susceptibles. Ils font peur. Un des enseignants demande même à Général d’assurer la discipline en classe. Il lui dit de faire taire les autres pour que le cours se déroule dans le calme. «Il savait qu’ils allaient m’écouter», explique-t-il avec un sourire bon enfant en se rappelant cette anecdote. Qui oserait défier un gaillard qui passe son temps à se battre, qui ne craint personne et qui peut compter sur l’appui d’une trentaine de colosses comme lui?
Même les professeurs devaient prendre garde à ces jeunes délinquants. Rouges ou Bleus, ils ne respectaient aucune autorité. Un enseignant qui s’acharnait à déprécier une jeune élève, l’a appris à la dure. Son frère, membre du gang de Général, a décidé de régler le problème une fois pour toute. «Le prof la rabaissait souvent, se souvient Général. Son frère a pété une coche. Il est de notre famille, alors on l’a suivi.» Le gang a attendu l’enseignant à la fin des classes. Avec le bandeau sur le visage pour ne pas être reconnus, ils l’ont tabassé.
La guerre des gangs se poursuit à l’école Henri-Bourassa
Après un an à Calixa-Lavallée, Général a été expulsé. D’abord suspendu une semaine après qu’un gardien de l’école ait découvert le couteau qu’il cachait sur lui, le jeune homme a eu une engueulade virulente avec l’un de ses professeurs. «Il a dit qu’il ne voulait plus m’avoir comme élève. La direction a fait le bilan de ma situation et j’ai été renvoyé.» Une décision qui n’a pas ennuyé le jeune homme. Il est allé poursuivre son secondaire à l’école Henri-Bourassa, le fief des Rouges. «C’était pas mieux! C’est concentré, il n’y a que des Blood.» Général s’y est senti encore plus fort. Il s’est enfoncé davantage dans la violence.
À Henri-Bourassa, Général est entouré de jeunes qui vivent pour détester les Bleus. Ensemble, ils échafaudent des raids en territoire ennemi, des opérations punitives. Il n’est plus au front, en première ligne. Il est dans son château fort. «J’avais toujours de la haine envers les gars de Calixa. Souvent, pour s’amuser, après les cours, on allait aider nos frères. On allait péter des Bleus à Calixa-Lavallée. Ou on allait à l’école Louis-Joseph Papineau, le bastion des Crips. On pouvait y descendre à 50 gars. Et nos ennemis faisaient la même chose.»
Victimes collatérales des gangs de rue
La guerre sans merci que se livrent les adolescents des Bloods et des Crips déborde et atteint d’innocentes victimes. Chaque jeune est associé à son territoire, à son école, même s’il ne participe pas au conflit. Les jeunes sont prisonniers de leur appartenance à leur quartier. «J’ai un cousin qui était dans le droit chemin. Il me trouvait con d’être dans un gang. Il ne voulait rien savoir des Blood. Il s’est fait poignarder parce que son grand frère en est un. Il a une méchante cicatrice au cou. Il a dû prendre parti.»
«Plusieurs autres sont devenus membres comme ça. Ils vont à une fête à l’extérieur de Montréal-Nord. On les associe à nous parce qu’ils vont à Henri-Bourassa et ils mangent une raclée. Après, ils voulaient nous représenter. Moi aussi, j’ai tapé sur des gars parce qu’ils étaient amis avec tel ou tel Bleu. Je faisais passer mes messages par eux. Ou si je voyais un gars porter un bandeau bleu, je lui disais de l’enlever. S’il refusait, je le tabassais. C’est une histoire de quartier. C’est vraiment con», reconnaît aujourd’hui Général.
La haine, l’envie de se venger ou la peur forcent des jeunes à gonfler les rangs des deux bandes rivales. Des adolescents, qui ne voulaient pas de cette vie, deviennent de redoutables recrues. La guerre s’est emparée de certains territoires de Montréal. Et comme toujours, ce sont les innocents qui paient le prix le plus lourd.
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