‘Ceau pantin !

Par Borokoff

A propos de L’autobiographie de Nicolae Ceauşescu d’Andrei Ujica 2 out of 5 stars

Documentaire consacré à la vie du dictateur communiste roumain Nicolae Ceauşescu (1918-1989)…

Troisième volet de la trilogie d’Ujica consacrée à la chute du régime totalitaire de Ceauşescu, après Vidéogrammes d’une révolution (1992, co-réalisé avec Harun Farocki) et Out of the present (1995), L’autobiographie de Nicolae Ceauşescu n’est constituée que d’images d’archives. C’est un montage de trois heures d’images du dictateur, soit en représentation officielle à l’étranger, soit dans sa vie privée (home movies) à la plage ou à la montagne.

Ujica précise dans une note d’intention qu’il n’a voulu faire ni « un documentaire, ni un docudrame, mais un long-métrage de fiction… », ajoutant avec ironie qu’en fin de compte, « le dictateur n’est qu’un artiste qui a la possibilité de mettre totalement son égoïsme en pratique. »

Que penser de ces trois heures de montage d’un Ceauşescu affable et toujours souriant et que l’on ne voit que dans la vie publique ? Derrière ces trois heures de montage, quelle était l’idée du réalisateur ? Quelle représentation exacte voulait-il donner du dictateur roumain exécuté avec sa femme Elena Petrescu lors d’un procès sommaire à Târgovişte (50 km de Bucarest) en décembre 1989 ?

Le film s’ouvre sur les funérailles de Gheorghe Gheorghiu-Dej (1901-1965), leader staliniste. Le montage décrit dans toute sa longueur la procession, puis l’avènement de Ceauşescu et sa mise au pouvoir. Chaque apparition publique est montrée en détails. Les images d’archives de Ceauşescu, lors de ses rencontres avec les présidents De Gaulle et Nixon révèlent un dirigeant soucieux à la fois de se démarquer de la tutelle russe tout en se rapprochant du bloc américain. Ceauşescu se fera finalement rappeler à l’ordre par Moscou et redeviendra un allié fidèle des Russes.

Le film n’est constitué que d’images existantes, d’archives publiques ou privées de la famille. Aucun plan n’a été tourné par Ujica. Rien sur le régime autoritaire mis en place, rien sur les exécutions d’intellectuels et de personnalités hostiles à Ceauşescu en Roumanie. Le film d’Ujica insiste sur un point et un seul : le culte du chef instauré par Ceauşescu lui-même et qui est la clef de voûte de son régime, l’élément commun et fondateur de toute dictature. Autobiographie est évidemment une appellation pour le moins ironique et qui a d’ailleurs provoqué un scandale chez les descendants de la famille Ceauşescu en Roumanie, qui ont voulu faire changer ce titre. Comme si Ujica avait imaginé avec humour l’hommage que Ceauşescu se serait rendu lui-même s’il avait fait le film. L’image charmante qu’il aurait voulu que l’on retienne de lui.

Pourtant, quelque chose cloche dans cette autobiographie, un concept de film ambivalent qui a du mal à tenir la route sur trois heures. Sans doute Ujica, par ce montage d’images publiques souvent issues de reportages télévisés, a-t-il opté pour une forme de cynisme à la hauteur de celui du dictateur roumain, obnubilé par sa personne, mais le projet a du mal à convaincre sur trois heures, Ujica semblant s’être concentré surtout sur la manière dont il pouvait tourner en dérision voire en ridicule le dirigeant roumain.

Au final, on n’en sait pas plus sur Ceauşescu ni le  fonctionnement du régime totalitaire qu’il mit en place. Mais peut-être n’était-ce pas le but de la manoeuvre. Au spectateur maintenant de chercher des informations sur le  fonctionnement exact du régime de Ceauşescu.

L’autobiographie de Nicolae Ceauşescu devient vraiment pertinente à deux endroits, là où Ujica commence vraiment à fouiller dans le faste de la vie politique à l’extérieur, les fêtes démesurées organisées par la Chine à chaque venue de Ceauşescu, très proche du régime communiste de Mao Zedong puis de ceux de Hua Guofeng et Zhao Ziyang. Et à l’intérieur, la terreur exercée sur les opposants, et cette diatribe de Constantin Pîrvulescu qui en novembre 1979, au 12ème congrès du Parti, protesta publiquement contre la réélection en toute illégalité du dictateur roumain avant d’être brocardé puis destitué et assigné à résidence.

Mais le part pris du documentaire est décidément de faire passer Ceauşescu pour un pantin, une marionnette saluant mécaniquement les foules et ayant du mal avec l’âge à prononcer ces discours,  un clown barbotant pathétiquement dans l’eau avec sa femme. Dommage que le documentaire se cantonne à ce pied de nez, qu’il n’y ait pas plus de choses sur le massacre de Târgovişte. A chaque image montrée, la construction du palais gargantuesque du président à Bucarest, le tremblement de terre de 1977, les rencontres avec des dirigeants étrangers, au spectateur de trouver à quel évènement correspondent les images, puisque aucun sous-titre ni voix off ne l’indiquent. A peine une date. Au-delà d’une certaine indigence, c’est de ne pas avoir poussé  assez loin l’analyse dont ce documentaire souffre vraiment…

www.youtube.com/watch?v=VG7ww78jA1M