Depuis 5 ans, j'ai des perfusions, elles sont à vie. La première année, c'était pratiquement toutes les semaines et depuis un peu plus de 4 ans, herceptine revient toutes les trois semaines. C'est contraignant, c'est certain, mais c'est ce qui me maintient en vie aussi je l'accepte sans rechigner et puis j'ai l'immense chance de les avoir à domicile depuis 2 ans.
Il est bien évident que je préférerais une vie sans perfusion, sans matériel médical à mon domicile. J'ai un arbre à perfusion pour accrocher les poches de chimio. Ce n'est pas très évident de ranger cet accessoire indispensable dans un appartement mais il a sa place. J'ai aussi deux cartons de blouses, charlottes, gants, pansements, packs à perfusion avec aiguille, tuyaux pour raccorder la poche à mon pac (petit boîtier sous la peau), champ stérile pour isoler mon pac pendant qu'on le pique. Je dispose d'un fût à déchets toxiques que le CLB récupère lorsqu'il est plein et m'en remet un autre à la place en échange. J'ai également une boîte à aiguilles pour les jeter. Je dois aussi me procurer bétadines rouge et jaune, poche d'eau salée pour la rinçure à chaque perfusion.
Toutes les trois semaines, mon salon envahi par ce matériel prend des allures médicales avec mon infirmer revêtu d'une magnifique blouse bleue en papier, coiffé d'une charlotte, dissimulé sous un masque sur le nez et la bouche pour ne pas souffler de microbes, fenêtres fermées pendant l'introduction de l'aiguille pour éviter toujours les microbes et ne prendre aucun risque. Je n'y pense plus vraiment à l'avance sauf pour m'organiser. Je dois appeler pour fixer l'heure, pour passer en pharmacie. Le jour J., j'ai parfois une lassitude à recommencer encore et toujours mais j'essaye d'embellir cette journée par autre chose pour qu'elle ne soit pas perdue au profit du cancer. A l'heure de la pause déjeuner, je vais chercher mes filles à l'école pour qu'elles déjeunent chez nos ou je vais avec mes copines au resto le midi. Une fois que j'ai eu ma perfusion, je ne suis plus bonne à rien. J'attends d'être le lendemain et de passer à autre chose tout en m'occupant des filles, des devoirs, du repas.
Depuis 5 ans, j'ai ce pac, il fait partie de moi. Il ne me gêne plus esthétiquement comme au début. Je porte des débardeurs et tant pis s'il dépasse. J'ai mis mes maillots de bain en bandeau l'an dernier, il était complètement visible. Ça m'était bien égale et bizarrement, je n'ai vraiment senti aucun regard appuyé sur cet endroit.
Par contre le délai de trois semaines entre deux perfusions, c'est court. Soit c'était la semaine dernière, soit c'est la semaine prochaine. Herceptine ne me quitte jamais. Mon oncologue m'autorise à prolonger exceptionnellement une ou deux fois par an l'espacement entre deux perfusions d'une semaine de plus pour pouvoir partir trois semaines en vacances ou pour ne pas être obligée de revenir si je suis à la montagne. Je n'en abuse vraiment pas, j'ai bien trop peur du cancer.
J'ai remarqué que je me sentais toujours plus en forme juste avant ma perfusion. Herceptine me fatigue, pas beaucoup mais elle agit sur mon organisme. Plus je m'éloigne du jour H. (pour herceptine, c'est comme ça que j'annote les jours perfusion dans mon agenda avec un grand H sous la date), plus je sens que j'ai de l'énergie. Et forcément, c'est alors qu'on m'en remet une dose. C'est ainsi depuis 5 ans.
Si je laissais le cycle de mes H se dérouler sans interférer, toutes les trois semaines, l'une d'elle tombait le jeudi de l'ascension, seul pont à notre disposition pour ce printemps. Il fallait donc la déplacer.
J'ai décidé de demander une grâce d'une semaine à cette occasion. Comme je n'avais pas assez de jour de congés pour prendre deux semaines à Pâques, j'ai devancé ce jeudi d'ascension et j'ai demandé pour ma prochain herceptine qui devait avoir lieu cette semaine, ma grâce d'une semaine. Elle a été acceptée.
Je n'aurais pas herceptine ce jeudi mais la semaine prochaine. Je suis arrêtée deux jours à cette occasion comme toujours. Comme je ne travaille pas le mercredi puisque je suis en temps partiel et que le lundi est férié, je n'ai eu qu'un jour à poser, le mardi, pour rester avec ma petite puce E. la semaine prochaine. Nous partirons à la montagne et reviendrons pour H.
Aussi cette semaine, je me sens revivre. Tout mon corps me prévient à sa manière que c'est la semaine H, une véritable horloge biologique, mais moi je sais qu'il n'en est rien. Je vais me sentir pousser des aîles. Pour une fois, mon énergie ne va pas s'en reprendre un grand coup ce jeudi. Elle va pouvoir m'animer une semaine de plus.
Cette grâce me donne une impression de liberté que je ne connais plus. A chaque fois, je jubile, je me sens plus légère. Je sens vraiment une différence sur le plan physique.
Par contre, hélas, lorsque j'ai ma perfusion d'herceptine après 4 semaines, le retour à la réalité est encore plus rude. Je me sens davantage vidée d'énergie, à cause du contraste encore plus important. C'est que je m'habituerais bien à être à 100% de ma forme, je ne sais plus ce que c'est même si on ne dirait pas en me voyant. Je sais moi que même si je semble super active, je le suis bien davantage sans herceptine.
Après mon H., on partira juste après en Espagne. Il va falloir que je fasse les valises avant H. et je vais prévoir un bon film au ciné avec mes filles, histoire de cuver mon herceptine en paix et de digérer ma contrariété face à cet état léthargique imposé...
Au moins j'ai une compensation de taille, je suis en vie et je peux mener une vie tout à fait normale, ça c'est un trésor sans prix.