Pierre Kosciusko-Morizet : « L’entreprenariat français manque d’investisseurs »

Publié le 20 avril 2011 par Delits

 

Après avoir décrypté la France de l’entreprenariat, Délits d’Opinion a souhaité donner la parole à l’un de ceux qui ont été à l’origine du renouveau de la création d’entreprises en France. Fondateur et PDG du Groupe PriceMinister, Pierre Kosciusko-Morizet  a accepté de répondre à nos questions.

Pour Délits d’Opinion, il est revenu sur son parcours et nous a confirmé l’existence d’un réel potentiel en France. Reste, selon lui, à développer une vraie culture de l’entreprenariat et à donner envie aux Français de croire et d’investir dans ces projets, en particulier sur Internet.

Délits d’Opinion : On a beaucoup dit que la crise économique de 2008 avait donné un nouveau souffle à l’entreprenariat en France. Partagez-vous ce constat ?

Pierre Kosciusko-Morizet : « Selon moi le dernier moment fort du point de vue de l’entreprenariat se situe au début des années 2000, après l’éclatement de la bulle Internet. Il est vrai que 2008 a été une année charnière mais plutôt du fait de la création du statut d’auto entrepreneur, qui a permis un renforcement indéniable de la filière entrepreneuriale.

Selon moi, la crise de 2008 n’a pas poussé les individus à entreprendre mais plutôt à prendre conscience que « small is beautiful », y compris dans le monde de l’entreprise. L’idée selon laquelle les TPE/PME et a fortiori les entreprises que l’on crée sont plus à même de permettre l’épanouissement personnel est une idée qui s’est sans doute renforcée en cette période de difficultés économiques ».

Délits d’Opinion : Les enquêtes d’opinion font état d’un fort désir d’entreprendre, en particulier chez les jeunes actifs et les étudiants. Ces mêmes sondages semblent indiquer, en creux, le désir de ne pas s’intégrer à un monde de l’entreprise de moins en moins attractif. Partagez-vous cette analyse ?

Pierre Kosciusko-Morizet : « Je reste persuadé que les individus ont envie de liberté sans pour autant être prêt à renoncer à une certaine protection. C’est une ambivalence très caractéristique de notre société. Aux enquêtes que vous citez on pourrait opposer les sondages qui attestent du désir, pour une majorité de jeunes, de devenir fonctionnaires. Si on est en plein paradoxe, celui-ci me semble néanmoins légitime.

Je pense que la réalité du monde de l’entreprise est désormais connue de la part de ce jeune public ce qui explique un niveau d’exigence accru envers son emploi. Ainsi, la question de l’emploi se pose désormais en connaissance de cause, entre une situation fragile mais attrayante et une position moins exposée mais où l’intérêt professionnel et personnel est sans doute moindre. 

Finalement cette plus grande exigence envers le métier que l’on exerce est quelque chose de sain car il permet aux salariés de faire primer l’intérêt personnel et professionnel à une situation que beaucoup  ne jugent pas assez engageante. Pour ce qui me concerne, lorsque j’ai monté PriceMinister, ma première volonté était d’être passionné par mon activité pour pouvoir y donner le meilleur de moi-même et exprimer tout mon potentiel ».

Délits d’Opinion : On observe que les Français qui désirent entreprendre manquent parfois d’information. La France est-elle en décalage ou en retard par rapport à d’autres pays européens ou aux Etats-Unis ?

Pierre Kosciusko-Morizet : « Sur le plan de l’information, l’outil Internet permet à tous les créateurs de s’informer et de pouvoir monter une entreprise. Selon moi, la vraie différence avec d’autres pays c’est que la France n’a pas une culture forte de l’entreprenariat. Notre pays n’a pas non plus une  culture capitaliste et l’entreprise n’est pas au cœur de notre société à la différence des Etats-Unis par exemple. Dans l’hexagone, l’entreprise et les sujets qui s’y rapportent ne constituent pas un thème central qui anime les discussions et les débats entre proches, alors qu’outre Atlantique, l’Entreprise est une des préoccupations majeures des citoyens.

La différence se trouve également sur le plan de l’enseignement. En France, la majorité des professeurs sont des universitaires qui n’ont pas une connaissance très poussée de ce qu’est l’entreprise, de ses règles, de ses codes et de son fonctionnement. Malgré les récentes évolutions dans certaines écoles, l’entreprise, et donc l’entreprenariat, sont relégués au rang d’options ou de spécialisations après plusieurs années d’études. Plus que de l’information, il manque une compréhension de ce qu’est l’entreprise et son développement.

Cette situation explique sans doute aussi pourquoi de nombreux entrepreneurs le sont devenus par hasard ou plutôt par accident ».

Délits d’Opinion : Parmi les freins évoqués, la question du financement tient la première place. Quels sont les moyens existants et ceux qu’ils seraient nécessaires de développer pour mieux soutenir cette tendance émergente ?

Pierre Kosciusko-Morizet : « La France ne manque pas d’entrepreneurs mais on constate que les investisseurs sooint encore trop peu nombreux. Là encore, la culture française permet d’expliquer ce constat. Historiquement les Français préfèrent l’assurance vie à la start-up et plus généralement à l’investissement.

Cependant, on note des évolutions importantes depuis quelques années. Les dispositifs comme la loi TEPA qui permet de réinvestir une partie de son ISF ont fait beaucoup de bien à la filière. On a également une tendance forte qui consiste à voir les entrepreneurs soutenir eux-mêmes des projets qui se montent. C’est ce que j’ai fait avec des partenaires au sein du fond d’investissement ISAI. Lancé avec une poignée d’entrepreneurs, le fond regroupe aujourd’hui plus de 70 investisseurs et permet de soutenir les nouvelles entreprises qui voient le jour.

Ce mode de fonctionnement se développe beaucoup sur le Web et sans doute plus qu’ailleurs. Cela permet de nourrir et d’entretenir l’écosystème de manière autonome, créant ainsi de la valeur et des emplois pérennes ».

  

Délits d’Opinion : Dans quelle mesure pensez-vous que l’outil Internet ait pu révolutionner la manière d’entreprendre ?

Pierre Kosciusko-Morizet : « Internet a rendu possible ce qui hier n’était réservé qu’à une minorité.  La création d’entreprise sur Internet demande moins d’argent que dans d’autres secteurs. A titre d’exemple, les questions de stockage et de distribution sont facilitées car on n’est plus obligé d’investir dans un fond de commerce « réel » pour développer son business. La mise de départ étant moins importante qu’il y a quelques années, cela permet d’élargir l’éventail des potentiels créateurs.

Internet est également une révolution technologique et industrielle majeure car elle impacte le grand public et cela de manière directe. A titre de comparaison, la révolution industrielle qui a donné naissance à la machine à vapeur à la fin du XIXe siècle concernait uniquement les groupes industriels.

Internet est à la portée de tous et en particulier des plus jeunes ce qui conforte l’idée que ce nouvel outil constitue également un processus démocratique. En effet, Internet permet de redistribuer les cartes et de donner à un jeune entrepreneur de 25 ans les clés du succès. Dans mon parcours, le fait d’avoir monté PriceMinister aussi jeune, à 23 ans, a été en soit un atout considérable car je percevais mieux que les autres comment Internet se développait et comment il faudrait répondre aux nouvelles demandes ».

Délits d’Opinion : Quels sont les enjeux majeurs du développement des projets Internet en France ? Ces entrepreneurs sont-ils amenés à poursuivre dans cette voie ou à réintégrer le monde de l’entreprise ?

Pierre Kosciusko-Morizet : « Internet crée beaucoup d’emplois ; en France sans doute plus qu’ailleurs du fait du dynamisme de notre économie digitale. L’enjeu qui se pose aujourd’hui c’est de parvenir à conserver en France ces entreprises tout en travaillant à de meilleures réponses fiscales face à des pays comme le Luxembourg.

Selon moi, les entrepreneurs le sont à vie. Les trajectoires des entrepreneurs ne tendent pas vers les grandes entreprises déjà existantes. Les créateurs d’aujourd’hui ont fait le choix de créer et de développer des entreprises ; ce choix ils voudront le faire demain. Je ne pense pas qu’on puisse imaginer une migration fore d’une génération d’entrepreneurs vers les entreprises privées existantes. Il est d’ailleurs envisageable que tous ces entrepreneurs puissent demeurer leur patron en développant leurs propres entreprises ».

Propos recueillis par Raphaël Leclerc