Il est donc venu. Il s'est fait photographier avec un casque d'ouvrier sur la tête, devant des fonderies et des bleus de travail. Il a pris son micro pour réécrire l'histoire devant une assistance silencieuse et castée. Nicolas Sarkozy était bronzé, c'est normal. Il a encore pédalé au Cap Nègre dans le château de son épouse, c'est bon pour le teint et la ligne. Ce mardi dans les Ardennes, le Monarque Nicolas a feint d'oublier ses promesses de pouvoir d'achat de 2006. Et le candidat Sarkozy a promis une prime, facultative et sous conditions. Comme en 2006.
Qui est encore dupe ?
« The show must go on »
Nicolas Sarkozy est un acteur. Une poignée d'ouvrages sur des « off » ou des confidences nous ont rappelé ces derniers jours combien l'homme méritait un prix d'interprétation. Cette fois, il retournait dans les Ardennes. Evidemment, il ne voulait pas rencontrer les mêmes ouvriers, les mêmes usines qu'il visitait en 2006. Dans une fonderie « sauvée » par Oséo, le candidat parla 25 minutes à peine, devant des ouvriers en bleu de travail. Le cadrage était plus soigné que les fois précédentes. Le langage était toujours d'une grammaire approximative. Le Président des Riches sait parler populo quand il est sur « le terrain ».
« Merci de prendre le temps d'être ici et d'écouter m'accueillir. (...) D'abord j'suis heureux de revenir dans ce département qu'j'aime beaucoup, les Ardennes. Je suis venu, je crois, cinq fois, depuis 2003. Pratiquement deux ou trois fois par mois, je vais dans une usine. C'est pas une lubie. C'est parce que je suis persuadé que la France doit restée terre de production, qui doit garder ses usines, des ouvriers, un savoir-faire qu'on veut garder. »
Depuis que l'on sait qu'il visite les Ardennes, lieu symbolique de ses promesses non tenues, on s'interrogeait sur le discours. On fut vite rassuré. « Quand je suis venu pour la campagne présidentielle, tout le monde m'a dit, la première crainte ici, c'est la délocalisation. (...) La priorité c'est de faire en sorte qu'on garde nos usines.» Tiens, Sarkozy a oublié de relire son discours de 2006. le terme délocalisation est évoquée... trois fois. Pas plus.
« Qu'est-ce qu'on a fait ? » Et bien, on connaît la chanson : « D'abord on a supprimé la taxe professionnelle. » Sarkozy joue le courageux : je me suis fâché avec un certain nombre d'élus. » Quelle hypocrisie... Les élus récalcitrants protestaient, on le sait, contre la disparition de leur autonomie fiscale, voire de leurs recettes fiscales tout court ! « Pourquoi j'ai donné priorité aux usines plutôt qu'aux collectivités territoriales ? » Là encore, on connaît la chanson : « Parce que les usines ça se délocalise, les collectivités territoriales non.» En revanche, et cela, Sarkozy ne le dit pas, les collectivités territoriales, ça peut réduire son budget, supprimer des alloc, fermer des collèges, écoles ou lycées... Mais chut ! Sarkozy radote toujours les mêmes explications à sens unique... « vous m'comprenez ? » On comprend...
« Pour garder ces usines en France, il faut que les usines en France, au minimum, payent pas plus d'impôts que dans les autres pays...» Attention, on va glisser sur le coût du travail, non ? Qui veut un salaire chinois ?
Le Monarque se tourne vers le patron de la fonderie : « pour une entreprise comme la vôtre, ça fait quoi ? »... Le patron hésite... « Ah... il est discret sur les chiffres »... On entend quelques rires... « 800.000 euros ? Ah ben... 800.000 euros, si y sont en moins, c'est mieux que si y sont en plus, non ? »
« Ensuite, il faut pousser l'entreprise...» Sarkozy bafouille, et s'interrompt lui-même. C'est une grande spécialité « ... J'avais dit, un de vos collègues syndicalistes me l'a rappelé ... » Belle référence, bravo... le collègue syndicaliste... Sarkozy parle à des syndicalistes... « ... il faut inventer ici la métallurgie du futur. Comment on l'invente, en investissant ! Si vous n'investissez pas dans votre entreprise, vous ne serez pas compétitif... On a donc créé, tenez vous bien » On se tient... On s'accroche, « le système fiscal le plus avantageux au monde pour les investissements : le crédit impôt-recherche. » On se retient de rire. Dans l'assistance, les regards sont interrogatifs. Ce petit bonhomme qui s'agite avec son micro a une vision bien curieuse de la situation. Il nous a promis le pouvoir d'achat, on a eu les franchises médicales, les déremboursements, le chômage, le bouclier fiscal et, maintenant, la réduction de l'ISF. Cherchez l'erreur.
Et puis, le fameux crédit impôt-recherche, Sarkozy ne l'a pas inventé. La première formule date de 1983... Argh ! Sacré héritage... Mitterrand l'a créé. Le Président des Riches n'a fait que « l'améliorer ».
« C'est fantastique c'que vous faites ici ! 400 clients, des milliers d'produits, des machines exceptionnelles, de la formation pour les uns comme pour les autres ! C'est ça qu'on veut subventionner et qu'on veut aider ! » Sarkozy est un acteur hors pair. On s'y croirait.
« D'abord une usine, c'est beau... Il faut ne jamais y avoir été pour croire que c'est laid. » Sarkozy à l'usine ? C'est un touriste qui s'émerveille !
« Dans une usine, on peut pas tricher, on peut pas s'enfermer dans son bureau »... Ah... le cliché !
Evidemment, Sarkozy sortit ses quelques vieux arguments contre les 35 heures. « D'ailleurs, je pense que le débat sur la quantité d'heures de travail est un faux débat. » Tiens... où veut-il en venir ? « Le vrai débat, c'est un débat sur la qualité de vie au travail, sur la santé au travail, sur la rémunération au travail sur la qualité de vie, sur la façon dont on est respecté au travail. » Le candidat teste ses idées de campagne pour 2012 ... Pénibilité, souffrance, stress... La réforme des retraites aurait-elle laissé des traces... Travailler mieux pour travailler plus ? Serait-ce le nouveau slogan pour 2012 ? Que nenni ! « Que vous soyez heureux au travail en faisant des heures supplémentaires qui vous permettent de gagner davantage, ça c'est la solution ! ça c'est la solution ! En étant formé davantage, en travaillant davantage, en étant payé davantage ! »
Seulement voilà... Le Monarque sortait peut être de sa bulle. La défiscalisation des heures supplémentaires a flingué les embauches, et bien avant la crise financière de septembre 2008. Dès avril, intérim puis emplois CDD s'effondraient. Quatre ans plus tard, rien n'a changé. « Ah j'vais vous dire une chose, travailler 35 heures sans être respecté, c'est un enfer. » Quelle formule ! Et travailler jusqu'à 67 ans pour mourir pauvre et épuisé, c'est mieux ?
« Mais il n'y a pas d'autres solutions, mesdames et messieurs, mes chers compatriotes ! Partout ailleurs, dans le monde, ils font ça ! » Compatriotes ? La formule est curieuse. Sarkozy est parfait. Il glisse un peu d'identité nationale dans le discours, dans le creux d'une formule. Claude Guéant n'était pas là. Mais Eric Besson veillait.
« Et ceux qui ne font pas ça, y décrochent ! » Sarkozy, quand il parle devant des ouvriers ou des agriculteurs, avale toujours les syllabes, voire certains mots. Pour l'enfant de Neuilly-sur-Seine, c'est toujours efficace : « ça » fait populaire.
« Comme dans vos familles... Si vos enfants, y travaillent pas à l'école, y travaillent pas au lycée, y décrocheront ! »
Quelques minutes plus tard, Sarkozy parla des retraites. On connaît la chanson. Il mentit, comme à chaque fois, en expliquant que sa réforme avait tout résolu. « Je défie qui que ce soit de dire le contraire, puisqu'il n'y a pas un pays au monde qui n'ait pas décidé d'allonger la durée de vie au travail ! » Il peut défier. Les faits sont têtus. La France cumule désormais le triste désavantage d'une durée de cotisation déplafonnée et de seuils de départ retardés.
« J'veux terminer en vous disant une autre chose sur toutes ces questions de pouvoir d'achat. » Enfin ?
Il était temps. Le monologue dure déjà depuis 16 minutes, sans un mot pour ces anciennes promesses de décembre 2006. Sarkozy s'essuie la tempe... « J'veux vous parler très franchement. Quand il y a la crise... tout le monde dit aux salariés serrez vous la ceinture. Et y peuvent pas faire autrement. Quand il y a la reprise, j'affirme qu'il est normal que les salariés et les ouvriers à qui on a demandé des efforts pendant la crise bénéficient de la reprise. C'est un principe sur lequel je ne cèderai pas. Vous m'entendez ? Je ne cèderai pas sur ce principe.»
Les doigts sont serrés. Le geste accompagne la parole. Personne, dans l'assistance, ne peut interrompre pour demander : Et vous allez faire quoi, monsieur le candidat ?
Sarkozy, en quelques phrases, sans contestation possible, embraye ainsi sur l'idée de la semaine, le gadget inutile, la belle arnaque : la fameuse prime de 1.000 euros !
Gadget social
La prime de 1.000 euros est un gadget qui, très tôt, a fini d'intéresser la sphère médiatique. Elle ne concernera, si elle est effectivement créée, qu'une minorité de salariés. Mais comme souvent en Sarkofrance, les ministres du Monarque ont débattu avec force et motivation de ce hochet social jeté sur la place publique pour divertir des vrais sujets. Et le Monarque est ensuite intervenu pour « trancher ». Le tout, dans une indifférence rapidement générale. La ficelle était trop grosse. Observez la séquence, appréciez la mise en scène.
Un ministre, François Baroin, lance d'abord l'idée d'une prime d'« au moins 1000 euros », comme ça, sans crier gare, au sortir d'un conseil des ministres ; son collègue du Travail, Xavier Bertrand, promet une loi pour l'été. Mais au détour d'une phrase, il en limite la portée : la prime ne concernera que les entreprises qui « augmenteraient » leurs dividendes. Laurence Parisot, présidente du Medef, intervient alors pour protester mollement. Une autre ministre, Christine Lagarde, la rassure à moitié : 1.000 euros ne sera pas un « minimum ». Et voilà ! Le tour est joué. Le candidat Sarkozy n'a plus qu'à trancher dans le vif, et s'afficher plus social que Mesdames Lagarde et Parisot.
L'homme qui a tant cédé à la réalité, tout cédé à son clan des Riches, s'est à nouveau écrié devant un parterre de maires UMP des Ardennes : «Je ne céderai pas». «Personne ne me fera changer d'avis ». Oulalala ! Qu'il est fâché ! «La France et le monde sont en train de sortir de la crise. Quand il y a eu la crise, on a demandé aux salariés et ouvriers de se serrer la ceinture, beaucoup ont dû supporter le chômage partiel. Au moment où nous sortons de la crise, je ne comprendrai pas et n'accepterai pas qu'on n'en tienne pas compte pour donner du pouvoir d'achat aux salariés».
Qu'il est volontaire et déterminé ! Mais pourquoi faire ? Pour mettre en oeuvre un misérable dispositif : défiscaliser le versement, facultatif, de primes, plafonnées, en cas de « forte augmentation des dividendes »... Et pour les entreprises qui ne versent pas de dividendes : « où il n'y a pas de distribution de dividende, si ça va mieux, si le carnet de commandes se remplit, l'entreprise pourra faire une prime aux salariés qui sera exonérée de cotisations.»
Tout ça pour ça...
Le Monarque précisa : « J'ai demandé au gouvernement de prévoir un dispositif qui assurera qu'en sortie de crise économique les salariés et les ouvriers français aient le sentiment qu'on tienne compte de leurs efforts et qu'il y ait davantage de justice.» Notez la précision : il faut que les salariés « aient le sentiment » de justice sociale ...
Cette visite dans les Ardennes s'est achevée. Sarkozy est reparti en Airbus présidentiel. Place à la prochaine visite !
A Paris, les premières estimations révèlent la réalité de sa réforme fiscale. L'assouplissement de l'ISF dépassera largement l'économie de la suppression du bouclier fiscal. Etes vous supris ? Le Monarque reste président des Riches. Avant toute chose.
Autre information. François Pérol, ancien conseiller bancaire de Nicolas Sarkozy à l'Elysée, propulsé par son Monarque à la tête des Caisses d'Epargne et des Banques populaires début 2009, va tripler sa rémunération cette année. Un généreux bonus d'un million d'euros lui sera versé pour « bons résultats ». Aux Echos, on souligne que ce n'est pas grand chose comparé à ses collègues américains.
Ami sarkozyste, où es-tu ?