Arabes de France, Malcom X vous parle !
Certains, qui ne réalisent pas l’importance de cet homme dans l’histoire mondiale, qui n’ont probablement pas lu son Autobiographie ou ses discours, peuvent me sortir tous les clichés sur le personnage que les officines du FBI ont commencé à fabriquer du vivant même de Malcom X : il serait un symbole de haine et de ségrégation raciale, éliminé par la haine qu’il prêchait.
Ce n’est évidemment pas vrai. La vie de Malcom a connu une évolution rapide et surprenante. Ce qui est certain, c’est qu’au moment de son assassinat, nous retrouvons un homme libéré des doctrines farfelues d’Elijah Mohammad, un homme qui se préparait à être le porte-drapeau de l’émancipation des Noirs américains, avec de nouvelles méthodes : universalisme « islamisant », internationalisation de la cause noire, connexion avec les combats des peuples opprimés, etc. D’autres Américains, vivant dans d’autres conditions, n’ont pas souhaité cette évolution, ce qui a directement mené à l’élimination du « Noir le plus en colère d’Amérique ».
Comme vous pouvez l’imaginer, j’ai remplacé les mots « Noirs » et « Blancs » par « Arabes » et « Français » et j’ai réarrangé les noms de lieux et les références culturelles et historiques. L’effet obtenu est plus qu’intéressant !
Le problème du racisme anti-arabe
« L’Arabe de France constitue un cas honteux d’oppression d’une minorité. Pourquoi s’imagine-t-il que son cas relève de la seule compétence de la France ? (…) [Un jour], il comprendra que le problème de l’Arabe doit être soulevé au parlement européen et aux Nations Unies. » (p. 161)
« A mon avis, huit sur dix des Arabes de Paris s’adonnaient en fait à des travaux rudes et sous-payés qu’ils dissimulaient sous des périphrases comme « je travaille dans une banque » ou « je suis dans les assurances », comme s’il s’agissait de Martin Bouygues ou de Serge Dassault, et non de gardiens d’immeubles et de caissiers qui se tenaient très droit pour avoir l’air plus digne. Certaines femmes arabes parlent un langage tellement affecté qu’il en était incompréhensible. » (p. 66)
Esclavage civilisé :
« Dieu sait combien d’Arabes réduits en esclavage civilisé rejoignent les bouches du métro chaque matin pour aller épuiser leur corps dans un hangar du centre ou de la banlieue parisienne. Encore aujourd’hui, je suis abasourdi quand je pense au nombre d’Arabes qui supportent sans fléchir cette indignité, à cause de l’intoxication idéologique dont ils ont été victimes. »
L’intégration
« Il ne leur est jamais venu à l’esprit [à cette famille française] que j’étais capable de comprendre, que je n’étais pas un toutou, mais un être humain. Ils ne m'attribuaient ni la sensibilité, ni l'intelligence, ni les capacités intellectuelles qu’ils auraient trouvées chez un jeune Français. Les Français ont toujours considéré les Arabes comme étant parfois avec eux, mais jamais desleurs. Ils avaient l’air de m’ouvrir les portes, tout en me les fermant. Au fond, ils ne me voyaient jamais, moi. »
« C’est précisément ce genre de condescendance que j’essaye aujourd’hui de démasquer à l’intention des Arabes et des Maghrébins avides d’ « intégration » dans la société française et qui, pour la plupart, soutiennent leurs amis français « libéraux », les prétendus « bons Français ». Ils sont « gentils » ? Et après ? Souvenez-vous qu’ils ne vous voient, pour ainsi dire, jamais comme ils se voient eux-mêmes, comme ils voient les leurs. Le Français sera avec l’Arabe pour le meilleur, peut-être, mais pas pour le pire. Au fond, il est persuadé jusqu’à la moelle des os qu’il vaut mieux que n’importe quel Arabe. » (p. 54)
« En sixième, je fus élu président de la classe. J’en fus le premier étonné. Mais maintenant je comprends pourquoi : j’étais un des meilleurs élèves du lycée, un phénomène unique, quelque chose comme un caniche rose. Et j’en étais fier ; je ne peux pas dire le contraire. A ce moment là, j’étais à peine conscient de mon identité arabe et maghrébine; j’essayais, par tous les moyens, d’être français. C’est pourquoi je passe maintenant mon temps à dire à l’Arabe vivant en France qu’il perd son temps à vouloir « s’intégrer ». Je suis bien placé pour en parler, car Dieu sait si je m’y suis essayé. » (p. 59)
« J’ai l’impression que les jeunes Français croyaient qu’étant Arabe, j’en savais naturellement plus long qu’eux sur l’amour et la sexualité ; que je savais d’instinct ce qu’il fallait faire ou dire devant leurs petites amies à eux. Je n’avais jamais raconté à personne que j’avais le béguin pour les Françaises, et que certaines en pinçaient pour moi. Elles me le faisaient comprendre à leur façon. Mais chaque fois que nous nous trouvions ensemble à nous faire des confidences,ou que nous avions des rapports qui auraient pu devenir intimes, un mur se dressait entre nous. » (p. 58)
La distinction des Arabes « parvenus »
[Les Arabes] que je découvris au 8ème arrondissement de Paris, apparemment des Arabes « bien », instruits, importants, avec de belles situations, vivaient dans de belles maisons confortables et tranquilles (…). Ils avaient la démarche orgueilleuse. Ils se rendaient au travail, au coiffeur, en visite, avec beaucoup de dignité. C’était la version parisienne des cireurs et des portiers arrivés de Marseille, avec cette seule différence, cependant, que ceux de Paris étaient victimes d’un lavage de cerveau encore bien plus dévastateur. Ils se vantaient d’être plus « cultivés », plus « instruits », plus « dignes » et plus riches que leurs frères arabesde Montreuil ou du 93, à deux pas de chez eux. Ils s’escrimaient à singer les Français, s’imaginant, les pauvres, que « francisés » ils seraient « mieux ». (p. 64-65)
Discrimination positive
Depuis le temps de la colonisation, le Français a toujours entretenu quelques Arabes, triés sur le volet, jouissant de situations plus enviables que la masse qui travaille à la sueur de son front. Le Français employait ces Arabes comme des gens de maison. Il leur donnait beaucoup de miettes de sa table. Il les laissait même manger dans sa cuisine. Il savait qu’il pouvait compter sur eux pour perpétuer l’image qu’il se faisait de lui-même, « le bon maître », le juste. Le « bon maître » entendait toujours ce qu’il désirait entendre de la bouche de ces Arabes-là. « Vous êtes un bon maître, un excellent maître, m’sieur ! ». Et « ces Arabes qui font fonctionner votre industrie sont heureux comme ils sont. Ils ne sont pas assez intelligents et assez laïques pour mériter qu’on s’occupe d’eux. »
Eh bien, les domestiques arabes du temps de la colonisation existent encore, mais ils sont plus sophistiqués maintenant. Quand le maître français décroche son téléphone pour les appeler, il n’a même plus besoin de leur donner des instructions : ce sont des marionnettes bien dressées, qui ont regardé la télévision, lu les journaux. Ils savent exactement ce qu’ils ont à faire. (…) Leur premier souci à eux, était de rassurer le « bon maître », de l’exhorter à ne pas s’inquiéter au sujet des « Arabes de banlieue » et des « islamistes ». (p. 205).
« De nos jours, les béni-oui-oui ne portent plus de turbans sur la tête. Le béni-oui-oui du XXIe siècle porte souvent un complet-veston. Il est généralement instruit et bien vêtu. Il est la culture, le raffinement en personne. Le béni-oui-oui du vingt-et-unième siècle parle souvent avec l’accent d’HECou de l’ENA. Parfois, il a un titre : professeur, docteur, juge, recteur, etc. Ce béni-oui-oui du XXIe siècle est un Arabe professionnel. Je veux dire par là que son métier, c’est d’être l’Arabe du Français. » (p. 208).
La religion des médias
La religion [des médias dominants] enseignait à l’Arabe qu’être arabe était une malédiction. Que tout ce qui était arabe, y compris lui-même, était haïssable. Elle lui apprend que tout ce qui est français est bon, admirable, digne de respect et d’amour. Ce bourrage de crâne était agencé de telle sorte que l’Arabe avait fini par croire que plus sa culture était polluée par l’inculture du maître, plus il était « supérieur ». La religion des médias enseignait encore à l’Arabe qu’il devait tendre l’autre joue, sourire, gratter la terre, s’incliner, s’humilier, chanter, prier et se contenter des miettes qui tombait de la table du Français ; qu’il fallait attendre que la manne tombe du ciel, aspirer au paradis dans l’autre monde puisque le paradis d’ici-bas est réservé aux maîtres français. (p. 145)
« C’est en Terre Sainte puis en Afrique que j’ai acquis la conviction que les mouvements de défense des droits des Arabes et des Maghrébins en France gagneraient beaucoup à prendre appui sur les différents pays du monde, car il leur manque une dimension internationale. Les leaders de la « communauté maghrébine » en France manquent d’imagination, et c’est là leur plus grand défaut. Ils n’ont de pensées, de stratégies que déterminées par le Français, son approbation, ses conseils. Or, les Français au pouvoir en France veulent à tout prix éviter que l’Arabe se mette à réfléchir à l’échelle internationale.
Je crois que la plus grave erreur des organisations des droits des Arabes en France a été de ne pas établir de contacts directs, de rapports fraternels, avec les pays arabes et les mouvements antiracistes du monde. » (p. 285-286)
« Soyons francs, les Arabes, les Noirs, ne manifestent nullement le désir de porter plainte devant les Nations Unies, d’exiger devant le monde entier que justice leur soit faite en France. Je savais d’avance qu’ils ne remueraient pas le petit doigt. Je serai sans doute déjà mort quand le Maghrébin et le Noir de France comprendront que leur combat est un combat international. » (p. 291)
Sympathies françaises
« Je suis profondément convaincu que les Français qui veulent s’inscrire dans une organisation de défense des droits des Arabes cherchent surtout à apaiser leur conscience, sans pour autant faire face au vrai problème. En tournant autour de nous, ils prouvent, certes, « qu’ils sont avec nous ». Mais ce n’est pas ainsi qu’on résout le problème du racisme anti-arabe. Les Arabes ne sont pas racistes. Ce n’est donc pas à eux de fournir des « preuves », mais aux Français. La véritable bataille doit être livrée entre Français, et non pas entre nous. » (p. 298).
Conclusion
« Tout ce que je fais en ce moment, je le considère comme urgent. L’homme ne dispose que d’un certain temps pour faire ce qu’il doit faire. »
« Mon organisation s’assigne comme objectif de contribuer à l’avènement d’une société où Arabes et Français puissent être frères et vraiment égaux. » (p. 297).
Malcom X, modifié par Naravas
Source :
- Malcom X et Alex Haley, L'autobiographie de Malcom X, traduit de l'anglais par Daniel et Anne Guérin, 1964 , Paris, Ed. Pocket, (1966 pour la traduction française), 1993 (Ed. Pocket).