Montecore, un tigre unique

Par A_girl_from_earth

 

MONTECORE, UN TIGRE UNIQUE

   traduit du suédois par Lucile Clauss et Max Stadler

Ça, c'est quelque chose que j'ai toujours adoré dans mon exploration de la littérature étrangère, c'est ces petits bijoux d'humour complètement inattendus, venus d'ailleurs, et qui nous rapprochent humainement. J'aime découvrir qu'on puisse rire des mêmes choses, comprendre l'humour d'une autre culture car il est finalement sensiblement le même que le nôtre, c'est pour moi un réel enchantement à chaque fois.

Nous avons ici en plus un sacré bonus avec cet auteur suédois de père tunisien et de mère suédoise. Quel mélange inattendu culturellement parlant! Voilà donc un roman qui explore deux cultures en un livre! Excellent! C'est ce qui m'a arrêtée quand je l'ai repéré chez Keisha, et quelle chance, quelle opportunité d'un voyage culturel original, je m'étais dit alors.

Toujours dans la série des bonus, je ne m'étais pas attendue au style narratif du récit, dont la construction vaut le détour à elle toute seule!

J'ai adoré déjà le prologue qui commence ainsi:

"Hé toi! Hé toi! Lecteur! Là dans la librairie, qui feuillette ce livre! Laisse-moi t'expliquer pourquoi tu vas sacrifier ton temps et ton argent dans ce livre-là!"

Le ton est donné, le livre met à l'aise et la banane, donne envie de s'installer dans un fauteuil pour lire la suite, et on se sent confiant dans le talent de l'auteur à nous épater et surtout à nous faire rire.

L'histoire en elle-même n'est pas originale, mais c'est la façon dont elle est racontée qui est excellente, une narration à deux voix complètement délirante, sous forme semi-épistolaire, qui nous permet de faire un voyage culturel en Tunisie et en Suède, des années 70 aux années 90, à travers une biographie réinventée du père de l'auteur.

C'est l'opportunité d'en savoir plus, mine de rien, sur les Suédois, leur culture, leur mentalité, leur pays, c'est un tour d'horizon très intéressant sur la Suède qui n'est pas forcément éclairée sous son meilleur jour, à travers le regard de l'immigré et de son fils à la culture mixte.

Les moeurs tunisiennes et suédoises sont différentes, on s'en doute, la rencontre des deux cultures n'est pas sans heurts, et la façon dont l'auteur les met en scène est vraiment instructive. Certains propos ressembleraient même par moment à un règlement de compte vis-à-vis d'une Suède raciste, malgré l'humour toujours présent. 

Un extrait qui m'a bien fait rire:

"-Grâce à ma femme, j'ai réussi à transformer ma mentalité de sorte qu'elle soit presque devenue suédoise. [...]

- Par exemple?

- Oh là là! C'est compliqué, je ne me souviens pas de toutes les règles. Mais laisse-moi essayer.

[...]

- A chaque fois que j'investis dans un journal, je dis un triple merci. Je ne marchande jamais dans les magasins. Je suis capable de discuter du temps et du vent pendant des heures avec la précision d'un météorologue. A chaque fois que je m'apprête à saluer mes voisins, je m'efforce de garder le silence et pense au proverbe: "Un Suédois se tait." ()

- Et quoi encore?

- Si on dîne au restaurant, je veille à ce que la femme paie sa part de l'addition. Si je bois de l'alcool, je ne m'arrête pas avant que l'inconscience ne s'approche."

J'avais beaucoup aimé Kadir au début, l'ami tunisien du père, à l'initiative de cette biographie, avec son parler bancal mais coloré et si charmant, ses descriptions toujours précises et soignées, ses tournures de phrases alambiquées mais si amusantes, mais j'avoue avoir eu quelques lassitudes au bout d'un moment, comme si l'humour lié à ce parler si particulier ne prenait plus. De même pour Jonas, le fils, je me suis lassée au bout d'un moment de son style d'écriture, avec les papas et les mamans (d'ailleurs là je n'ai pas compris le délire de l'auteur...), mais l'ensemble, les deux associés, donne un mélange tonique au texte et un récit plein d'originalité et de fraîcheur.

Pour finir, une photo de l'auteur car:

Ouhlala!!! 

L'auteur

Jonas Hassen Khemiri, Tunisien et Suédois, né en 1978 à Stockholm, a fait des débuts très remarqués avec son premier roman, vendu à 200.000 exemplaires. Montecore, un tigre unique a reçu le prix P.O. Enquist et est traduit en huit langues.