La Grande Bretagne a annoncé son intention d’envoyer une vingtaine de militaires pour aider les rebelles libyens à s’organiser. L’Union européenne évoque la possibilité de lancer une mission humanitaire militarisée pour venir au secours de la population de la ville de Misurata, une enclave rebelle dans l’ouest du pays. Et des informations font état du manque de munitions de précision sous les ailes des chasseurs bombardiers de l’Otan qui visent les unités du colonel Mouammar Kadhafi dans le désert libyen.
Guerre improvisée
Les nouvelles de Libye font penser à une guerre improvisée, dont la stratégie se décide au jour le jour. Après une série, la semaine dernière, de réunions internationales à haut niveau: le Groupe de contact à Qatar, la Ligue Arabe au Caire et l’Otan à Berlin, aucune vision ne se dessine, si ce n’est celle de laisser la crise s’enliser dans l’actuel face à face, et la division de fait du pays se confirmer. Dès le début de l’aventure libyenne, deux pays ont pris les devants: la France et la Grande-Bretagne. Ce sont ces deux partenaires qui ont poussé au vote de la résolution 1973 de l’Onu le 17 mars, qui a autorisé l’intervention armée internationale. Depuis, ce sont également les avions de ces deux pays qui conduisent la majorité des frappes contre les forces loyales à Kadhafi. Et les responsables français et britanniques ont été les plus clairs dans leurs appels à l’éviction du colonel au pouvoir en Libye depuis 42 ans, même si la résolution 1973 de l’Onu ne le prévoit pas.
Règlements de comptes
Toutes une série de raisons justifient cette détermination de Londres et de Paris. D’abord des comptes à régler avec le régime libyen, responsable d’attentats terroristes contre des avions de lignes au dessus de Lockerbie en 1988 et au dessus du Niger en 1989. Londres et Paris ont également croisé le fer avec Kadhafi lorsque le colonel finançait les terroristes irlandais de l’IRA, ou qu’il soutenait la rébellion anti-française dans le nord du Tchad. Ensuite, les deux puissances européennes ont vu l’intérêt qu’il y avait pour elles d’affirmer leurs poids diplomatiques et militaires à un moment où la primauté de l’économie donnait à l’Allemagne un rôle prééminent dans le devenir du Vieux Continent.
Des précédents
Ce n’est pas la première fois que Londres et Paris se retrouvent ainsi aux commandes d’une opération militaire sur les marches de l’Europe, dans laquelle Berlin joue un rôle mineur. Déja, au début de la guerre dans l’ex-Yougoslavie, en 1992, les deux pays avaient fourni les contingents les plus importants pour créer la Force des Nations Unies, la FORPRONU, chargée de la protection des populations civiles notamment à Sarajevo. Les états-majors et les unités déployées sur le terrain avaient appris ainsi a travailler ensemble et cette expérience a renforcé la perception que l’Europe de la Défense se réduit à un axe franco britannique. En outre, pour les deux nations qui jadis se sont partagés une grande partie du Moyen-Orient, intervenir de nouveau dans un pays arabe leur permet d’exister dans un jeu d’où les Etats-Unis les ont exclus. Pour Paris et Londres, la Libye est une bonne occasion d’effacer le souvenir de l’opération lancée en 1956 contre Gamal Abdel Nasser et le Canal de Suez, une aventure désastreuses à laquelle Washington avait mis rapidement un coup d’arrêt.
Chefs de guerre
Pour David Cameron et pour Nicolas Sarkozy, le conflit libyen convient donc trés bien: il s’agit d’une guerre en miniature, aux enjeux limités et aux conséquences tout à fait gérables. Les Etats-Unis ont bien l’intention de leur en laisser à la fois la responsabilité et la gestion. Washington a fait savoir qu’il n’était pas question pour les avions américains de reprendre des frappes intensives contre les loyalistes, même si les Britanniques et les Français se sont plaints de faire tout le travail. Le gel du front ne comporte pas de véritable risque pour la sécurité de la Méditerranée: neutralisé dans sa ville de Tripoli, Kadhafi aura du mal à projeter au delà d’une certaine sphère sa capacité de nuisance. Il devient également une cible facile, et justifiée, s’il donne l’impression de vouloir réveiller d’improbables réseaux dormants pour prendre sa revanche contre l’Occident. De même, la région de la Cyrénaïque sous le contrôle de la rebellion va être placée sous une tutelle internationale militaire et administrative de fait qui va rendre difficile, voire impossible, une éventuelle dérive extrémiste. Le conflit libyen peut dont durer encore pour un temps, géré sans grande vision, mais sans grand risque non plus, par un attelage franco-britannique. Et le jour viendra, pense-t-on à Paris et à Londres, où la conclusion de cet épisode, avec le départ inévitable, mort ou vivant, de Kadhafi, donnera un accés privilégié aux entreprises françaises et britanniques pour développer une région d’Afrique du nord libérée de ses vieux despotes.