Interview de Davide Cali/ Propos recueillis par Julie Cadilhac- Bscnews.fr/ Davide Cali vit à Gênes, l'auguste capitale de la Ligurie. Auteur et illustrateur BD avant de travailler pour la maison d'éditions Sarbacane, il nous confie son expérience au sein de la littérature jeunesse. Entretien avec un artiste italo/francophone aux mille projets qui a notamment inventé une amusante parodie des Dix petits nègres d'Agatha Christie...
A quelles difficultés d'écriture peut se heurter un auteur jeunesse?
Je ne sais pas, peut-être parfois au problème de l’age. Quand j’écris je ne pense pas trop aux enfants qui vont lire mon histoire. Parfois ça arrive que, selon l’avis de l’éditeur, l’histoire est peu compliquée et il faut réduire ou simplifier le texte. Mais ce n’est pas vraiment un gros souci. En faisant surtout des albums illustrés, qui doivent rentrer dans un format précis, ça arrive souvent (presque à chaque fois) de devoir retravailler le texte pour l’adapter à ça.
Un adulte peut-il avoir naturellement au fond de sa besace des thèmes qui plairont aux enfants, des personnages qui leur conviendront etc...ou une expérience professionnelle en milieu scolaire aide-t-elle à mieux évaluer ce qui est adapté à ce public selon vous?
Comme je l'ai dit, je ne pense pas trop aux enfants quand j’écris. Les histoires au début sont une espèce de jeu privé, que je fais pour moi. Après arrive le projet et l’idée de partager tout ça avec des lecteurs. Les thèmes de mes histoires m’arrivent du quotidien ou tout simplement de ce que j’aime. Souvent je me suis inspiré plutôt de moi-même quand j’étais petit.
Testez-vous vos histoires auprès d'enfants de votre entourage avant de les proposer à une maison d'édition? Arrive-t-il que vous repreniez un texte suite à un tel test?
Non. Je fais plein de rencontres mais les enfants ne m’inspirent pas d’histoires – normalement – et je ne me sers pas d’eux pour en tester. Avant je le faisais lire à ma femme avant de les envoyer aux éditeurs. Maintenant j’écris trop et la plupart du temps elle lit le livre déjà publié.
Que lisiez-vous quand vous étiez enfant? Affirmeriez-vous que vos lectures vous ont construit, que certains récits vous ont laissé un souvenir marquant?
Quand j’étais petit il n’y avait pas grand chose à lire. Des classiques assez moches, des livres horriblement illustrés. Pas trop mon truc. J'ai grandi avec les BD (Mickey et Donald Duck, après les superhéros Marvel – comme Spiderman et les X-Men - et plus tard les strips américains comme B.C., Beetle Bailey, Peanuts). À part les BD, les livres d’animaux sont ceux que j’ai lus le plus.
Les animaux, surtout les insectes, ont été une de mes grandes passions d’enfant.
Selon vous, la littérature jeunesse se doit d'être ludique et pédagogique? Laquelle de ces fonctions est prioritaire d'après vous?
Quand je suis passé, comme auteur, de la BD aux livres jeunesse je me suis imposé des règles assez simples que j’ai toujours respectées: raconter tout ce que je veux sans avoir peur de toucher à des sujets compliqués et être le plus sincère possible. Au début j’ai écrit des histoires drôles, après je suis passé sur un côté un peu plus « philo ». Parfois les éditeurs m’ont demandé de travailler plus sur le côté pédago et je l’ai fait. Les éditeurs cherchent toujours des histoires qui apprennent quelque chose aux enfants. Je l’accepte mais je ne crois pas que ce soit la priorité. Une bonne histoire apprend et communique toujours quelque chose et donc une histoire avec un fond pédago doit être, d’abord, une bonne histoire.
Les 10 petits insectes est une parodie des 10 petits nègres: êtes-vous un lecteur inconditionnel d'Agata Christie? Comment est née l'idée d'une réécriture version bd de ce célèbre polar?
Pas du tout. J’ai découvert le polar assez tard. Quand j’étais plus jeune, je préférais les romans sci-fi, le polar ne me disais pas grande chose. Maintenant c’est un peu l’explosion, en Italie où j’habite, du polar et j’ai trouvé pas mal de choses qui m’ont plu.
Agatha Christie, je dois avouer avoir essayé plusieurs fois d'en lire, mais je ne suis jamais arrivé à la fin. Sauf les Dix Petits Nègres. Je l’ai lu que j’étais petit et il m’a foudroyé. Je l’ai adoré, lu plusieurs fois, vu plusieurs versions ciné tirées du roman. J’adore le mécanisme de l’histoire et j’ai toujours voulu le reproduire dans un de mes livres.
Le choix de personnages insectes voulait insister sur la fragilité de la vie? Cherchait à rendre moins violent la succession des morts accidentelles? Avez-vous créé cette bd pour donner l'occasion d'un échange plus grand entre l'adulte et l'enfant?
Non, le choix est tombé sur les insectes pour la simple raison que, comme je l'ai dit, j’avais (et j’ai encore) une grande passion pour les insectes. L’idée me plaisait de les mêler à un roman policier. En fait, j’avais déjà utilisé des insectes dans mes BD: "Pas de crotte pour moi" et la suite, " Jérôme et les fourmis rouges", paru dans la collection Sapajou chez Sarbacane, ont pour protagonistes trois petit bousiers. Si ces deux albums étaient décidément pour les enfants, Dix Petits Insectes est né comme une BD tout public.
Etes-vous de ceux qui pensent qu'il ne faut pas hésiter à simplifier la littérature pour la rendre abordable aux enfants et à ceux qui sont rebutés par les lectures trop fastidieuses?
Si pour « littérature » vous voulez dire " classiques", non, je ne suis pas trop pour ça mais je dois dire que je ne connais pas les abrégés publiés en France. Peut-être qu'il y en a de bons. Les versions abrégées réalisées en Italie ,lorsque j'étais petit, étaient minables. J’ai toujours préféré lire les originaux.
Pas d'assassin dans ce récit... juste des hasards malheureux... pourquoi?
Dans l’original d' Agatha Christie, l’assassin, à la fin, c’est le juge mais moi je ne voulais pas refaire vraiment la même histoire; je voulais trouver un final surprenant et absolument fou. À la fin la meilleure solution c’était qu’il n’y avait pas d'assassin. Ce qui a été amusant fut de trouver une explication pour toutes les morts.
Avez-vous écrit d'autres parodies de romans célèbres depuis? Est-ce en projet?
Les insectes c’est une série qui va continuer, avec le même « cast » d’insectes. J’ai envie de réaliser plusieurs histoires, chacune placé dans un roman ou un film qui m’a plu et qui soit aussi un « genre » : donc polar, sci-fi, western, etc. À l’instant Vincent Pianina à déjà mis en couleur une dizaine de pages du deuxième tome. Le sujet c’est encore polar, inspiré à un film par… Mais pourquoi le dire maintenant… vous allez voir…
Anne Laura Cantone a illustré votre pétillant album "C'est quoi l'Amour?": quel(s) souvenir(s) gardez-vous de la découverte de ses dessins?
C’est quoi l’amour est notre quatrième album ensemble. Le premier a été Un papa sur mesure, suivi par Je veux une maman robot et par Omas unglaubliche Reise (L’incroyable voyage de mamie) un livre qu’on a publié en Autriche (chez Annette Betz) et qui n'est pas traduit en France.J’ai découvert les dessins d'Anna Laura avec un livre sur le petit Chaperon Rouge. À l’époque son travail me plaisait déjà mais je n’étais pas encore persuadé de l’appeler pour bosser sur quelque chose. C’est avec La mariée était trop belle que je n’ai plus eu aucun doute: le livre était assez décoré et vachement rigolo. J’ai pensé que ça collait vraiment avec mes histoires. À l’époque le livre, paru en Italie, était déjà traduit en France chez Sarbacane. Quand j’ai proposé à Anna Laura de faire un album avec moi, elle m’a dit que Sarbacane venait juste de lui demander un projet à publier directement en France. C’est ainsi qu'a commencé notre collaboration et la mienne avec Sarbacane.
Choisissez-vous toujours les illustrateurs avec lesquels vous travaillez?
Parfois je propose le projet directement avec un dessinateur, comme dans le cas d' Anna Laura chez Sarbacane. Parfois c’est l’éditeur qui me fait des propositions, une fois qu'il a lu mon texte. Récemment on a commencé à changer de façon de travailler. Sarbacane me propose des illustrateurs qui passent à la rédaction et avec lesquels ils aimeraient travailler. Je m’inspire directement de leur univers pour écrire des histoires. Évidemment il m’arrive de ne pas trouver une histoire pour l’illustrateur demandé, mais c’est ainsi que j’ai écrit Marlene Baleine, par exemple.
Echangez-vous durant le temps d'écriture?
Ça aussi, ça dépend. Il y a des fois où l'on s’écrit tout le temps, d'autres jamais. Souvent, l’éditeur préfère faire le lien entre les deux auteurs.
Vous est-il arrivé de modifier un texte suite à une illustration proposée?
Oui, souvent. Je considère mes histoires assez ouvertes. Il y a des auteurs qui considèrent leur travail intouchable. Moi je travaille plutôt en équipe et si on me demande de changer quelque chose je le fais si je trouve cela acceptable. Il y a eu des fois, évidemment, où j’ai refusé les changements mais aussi de publier l’histoire si les conditions ne me plaisaient pas. Avec un illustrateur c’est pareil. Je fais toujours un storyboard dessiné de mes histoires, parce que je trouve ça plus facile pour expliquer ce qu'autrement je devrais expliquer par écrit. Le dessinateur n’est pas obligé de suivre mes dessins mais c’est vrai que souvent je suis intervenu pour l’aider à trouver de meilleures solutions pour les planches. Comme dessinateur, je mets donc les « pattes » dans le boulot de l’illustrateur mais j’accepte aussi qu’il fasse le même: s’il n’arrive pas à dessiner quelque chose ou s'il me propose des changements à son goût, l’histoire peut changer. Ça s'est passé surtout avec Vincent Pianina dans les Dix petits insectes : Vincent s’est tellement plongé dans cet album qu'il m’a fait plein de propositions pour ajouter des gags. De mon côté je l’ai aidé un peu avec la mise en page parce qu'on n’arrivait pas à mettre dans le livre tout ce que l'on voulait.
Dans J'attends, le dessin, auquel s'ajoute itérativement ce fil laineux rouge, semble indissociable du texte... le texte a-t-il été pourtant écrit en amont?
Non, j’ai écrit le texte et c’est Serge qui a trouvé l’idée du fil, après. À l’époque on ne se connaissait pas. Je connaissais son travail mais on ne s’est pas parlé pendant la réalisation et on s’est rencontré la première fois seulement après.
L'Amour, l'Attente, la Différence... Peut-on dire que vos histoires se veulent de nature philosophique (adaptée, bien sûr, au public qui les réceptionne)?
Il y a un côté de mon caractère qui, surtout récemment, s’interroge sur des questions philosophiques et tout ça apparaît dans mes livres, donc oui. Je ne le fais pas exprès. Dans mes livres je raconte ma vie: ce que m’arrive, ce que je pense. Dans presque chaque histoire il y a quelque chose de vrai, qui appartient à ma vie. Marcolino, du livre Piano piano, par exemple, existe vraiment, et tout ce que j’ai raconté dans, J’aime t’embrasser, s’est passé avec ma femme (que j’avais déjà peu raconté dans Bernard et moi).
Diriez-vous que vos textes cherchent toujours à faire réfléchir l'enfant, l'aident à grandir?
Si c'est un effet de mes textes, ce n'est pas mon intention de départ. J’écris pour m’amuser et pour raconter les histoires que j’ai besoin de raconter. Mon intention, vers les lecteurs, c’est bien de les amuser ou de les émouvoir. J’ai rencontré des enfants qui ont lu mes histoires et j’ai découvert que ce que j’écris est important pour eux. Cela m'a fait plaisir, cela veut dire que je fais bien ce que je fais, mais surtout que tout ce que j’écris et que je crois personnel, est en réalité universel.
"Si tu veux être légère, pense légère" dit le maître-nageur à Marlène Baleine. Avez-vous écrit ce récit pour expliquer aux enfants qu'il suffit d'y croire, que le pouvoir de l'imagination est sans limite?
Ce livre je l’ai écrit en m’inspirant des personnages « dodus » de Sonja Bougaeva. La philosophie de l’histoire m’est arrivée en réalité en pensant aux adultes: je connais plein de monde qui se limite, qui ne fait pas certaines choses en pensant n'en être pas capable, n'être pas assez beau, assez fort, etc. J’ai compris que c’est un vrai complexe qui ,depuis l’enfance, accompagne les gens toute leur vie. J’ai écrit ce livre donc pour tous les copains qui ont du mal à se plonger dans la « piscine de la vie ».
Quel nom de grand homme de lettres avez-vous prononcé en fermant les yeux pour devenir écrivain?
Je ne sais pas. Comme je dis toujours aux enfants dans les rencontres scolaires je ne me vois pas comme un écrivain. J’ai commencé à faire des livres jeunesse comme auteur complet, après j’ai mis de côté le dessin et maintenant je suis reconnu partout comme auteur mais dans ma tête les histoires m’arrivent toujours avec les dessins. Je suis « né » dessinateur de BD et si je ferme les yeux je pense encore à moi comme un dessinateur. Ou un guitariste rock. Si je dois formuler des noms, je dirai: Isaac Asimov, parce qu'il était un champion de recyclage (il ne jetait jamais une histoire!) et puis c'était un savant avant d’être un auteur sci-fi; Mark Twain, parce qu'il était fou et qu'il a écrit des nouvelles formidables; Saki, parce que il m’a fait trop marrer; Tomi Ungerer, parce qu'il écrivait et dessinait tout ce qu’il voulait, pour enfant ou adultes, sans limite; Woody Allen, parce que j’adore son humour.
Un projet d'écriture en cours en 2011?
Les plus proches à paraître: "Um dia, um guarda-chuva" (Un jour, un parapluie), illustré par Valerio Vidali, publié chez Planeta Tangerina, à paraître ce mois: c’est mon premier album réalisé directement en Portugal; "Si je ferme les yeux", illustré par Robin, à paraître en mars/avril chez Sarbacane. Entre-temps je travaille au deuxième tome BD de Joëlle Cruelle avec Ninie (chez Sarbacane), au deuxième tome BD des Insectes avec Vincent Pianina (chez Sarbacane) et à un album « secret » prévu chez Sarbacane en automne. Sinon, j’ai une dizaine de projets qui bougent en même temps, entre livres BD et BD pour revues, livres jeunesse, livres documentaires et romans. Tout ça entre France, Portugal, Espagne, Allemagne, Italie, États Unis. Pour voir tous mes livres déjà parus: www.davidecali.com