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En plus du tsunami, le séisme du 11 mars au Japon a provoqué dans certaines villes un autre phénomène géologique dangereux : la liquéfaction des sols. L’ampleur du phénomène serait inédite. Il est bon de fournir d’amples explications sur ce phénomène.
Images spectaculaires de routes qui semblent se détacher du trottoir et glisser, d’eau boueuse qui sourd entre les pavés des trottoirs… Bien que surprenantes, ces images tournées au Japon le 11 mars au moment du séisme montrent un phénomène bien connu des géologues et des sismologues : la liquéfaction des sols. Voir mon article précédent du 13 avril sur ce sujet.
La ville d’Urayasu, dans la préfecture de Chiba, frontalière de la métropole de Tokyo, a été la plus touchée par la liquéfaction des sols à cause des très fortes secousses du 11 mars. 85% des sols s’y sont « liquéfiés », selon le journal nippon Yomiuri Shimbun. D’autres villes, elles aussi situées dans la baie de Tokyo, ont subi ce phénomène. Paraissant anecdotiques en comparaison des destructions provoquées par le tsunami plus au nord sur la côte, les dégâts liés à la liquéfaction des sols sont un peu passés inaperçus. Sur internet, la popularité des ces vidéos est cependant grandissante, sans que le phénomène soit forcément explicité.
D’après les experts japonais interrogés par le Yomiuri Shimbun, la liquéfaction des sols ne s’était jamais produite sur une aussi grande échelle dans l’histoire du pays. C’est également la conclusion d’une équipe de chercheurs américains de l’Université de l’Oregon (OSU) qui a mené un premier bilan sur le terrain et qui a été surprise par l’ampleur et la sévérité du phénomène lors du séisme d’Honshu.
Le cas de Niigata, en 1964
C’est pourtant au Japon, avec le tremblement de terre de Niigata en juin 1964, que le phénomène a acquis une plus grande visibilité et que le risque a été intégré dans les normes de construction japonaises. Suite à ce séisme de 7,5, le port a été détruit par un tsunami, tandis qu’en ville, près d’une rivière, de grands immeubles se sont affaissés. Le sol sur lequel ils reposaient ne pouvait plus les porter, à cause de la liquéfaction.
Lorsque des secousses sismiques fortes affectent un sol sableux, saturé en eau, ce sol peut en effet perdre sa résistance et ne plus pouvoir supporter le poids des bâtiments qui reposent sur lui. Il s’agit de sols d’une faible densité : il y a donc de l’espace entre les particules et tout cet espace est occupé par l’eau. Lorsque la pression de l’eau est faible, les forces de contact qui s’exercent entre les particules sont suffisamment fortes pour tenir les particules en place et donner à l’ensemble une bonne portance.
Le sol bouillonne
En revanche, lorsque la pression de l’eau augmente, notamment sous l’effet de secousses sismiques, les particules sont de moins en moins en contact les unes avec les autres, affaiblissant la résistance du sol. Dans certains cas, les particules se réorganisent mais lors d’un séisme le changement est trop brutal, l’élévation de la pression de l’eau trop forte pour que la réorganisation puisse avoir lieu.
Conséquences : des bâtiments penchent ou s’enfoncent. Parfois on peut voir le sol bouillonner (à cause de la perte de contacts entre particules) et l’eau jaillir. Ce phénomène peut également entraîner des glissements de terrain.
Un risque élevé dans la baie de Tokyo
Pour mémoire, à Niigata en 1964, la liquéfaction des sols a été observée de nombreuses fois au Japon, notamment lors du séisme de Kobe, qui fit plus de 5.500 morts. Elle s’est également produite en Alaska, toujours en 1964, lors du grand séisme qui a été suivi d’un tsunami ; ou encore en 1989 à San Francisco, dans le quartier de Marina, construit sur des sols remblayés après le grand séisme de 1906, mélangeant sable et débris… Plus récemment, c’est lors du séisme qui a touché Christchurch, en Nouvelle-Zélande, au début de cette année, que la liquéfaction a laissé des quartiers sous la boue.
D’après un ingénieur en génie civil d‘une université de Tokyo, interrogé par un reporter du Washington Post, la ville d’Urayasu a été construite après la seconde guerre mondiale sur des terrains remblayés, composés de sables, de cendres volcaniques et de débris. Un sol qui présente un risque de liquéfaction élevé.
Ampleur inédite
D’après Scott Ashford (OSU) et ses collègues, l’étendue de la liquéfaction lors du séisme du 11 mars, sur des centaines de kilomètres, est sans commune mesure avec ce qui avait déjà été observé auparavant, y compris au Chili et en Nouvelle-Zélande. Des structures restées intactes se sont enfoncées dans le sol, relèvent les chercheurs. Les réseaux d’eau ou de gaz ont beaucoup souffert. La durée du séisme du 11 mars, 5 longues minutes, pourrait expliquer l’ampleur de la liquéfaction des sols. les sédiments récents, particulièrement les zones remblayées, sont les plus exposées à ce risques, confirment le rapport américain.
Cette vidéo illustre leurs observations. Entre 2’30 et 3’30, on voit les chercheurs marcher et même s’embourber dans ces sables gris et gorgés d’eau laissés en surface par la liquéfaction des sols