Ils avaient incarné l’espoir d’une fin de décennie contrariée, entre fraîcheur de vivre et bégaiements générationnels. Deux atouts avaient présidé à leur destinée. Un, ce folk traditionnel fondu dans le terreau pop d’une Californie réchauffant les chœurs. Deux, un art de la mélodie maîtrisé à la perfection par Robin Pecknold, leader et principal songwriter du groupe. La limpidité des voix, merveilleusement entremêlées aux refrains subtiles mais solides, avait achevé de nous convaincre, nous les rock critics.Le folk y avait trouvé une certaine modernité, tout du moins une intemporalité longtemps fantasmée. Il devenait ainsi fréquentable pour un monde rompu au rock stadium. Et puis, on ne citait plus Nick Drake, génie définitif trop souvent invoqué lorsqu’il s’agissait de chroniquer le premier album d’un barbu à guitare. Et puis vint la rumeur. Un deuxième album était programmé, lancé dans les tuyaux de la conception. Comme pour refroidir les ardeurs, Robin Pecknold annonçait la couleur : plus folk que pop. Argh, m’étranglais-je à la vue de cette terrible annonce. Car il faut bien le dire, je fus l’un de ces fans hardcores à célébrer leur premier album éponyme. Il avait, à l’époque, fait l’effet d’une libération jubilatoire. La clarté des harmonies et des voix me renvoyaient direct à l’époque où l’on parlait de CSN&Y comme les Beatles américains. C’est avec une certaine appréhension que je guettais l’arrivée de Helplessness Blues dont je ne connaissais pas encore le nom. Quelques semaines s’écoulèrent comme une mélodie foxienne quand je trouvais, au détour d’un site, le disque en écoute. Courage aidant, je m’attelais à chacun des douze morceaux sans m’empêcher d’éprouver une peur insidieuse. Fleet Foxes allait-il me décevoir ? Le groupe avait complètement lâché prise, fini la simplicité pop ! Les musiciens de Seattle plongeaient dans cet inconnu que seuls connaissent les artistes engagés, rompus, patinés. Oh, bien sûr, je retrouvais avec joie leurs constructions vocales ambitieuses mais l’ensemble sonnait étonnement aventureux. Or, c’est parfois en se risquant à l’aventure que l’on se perd dans je ne sais quel méandre. Un album c’est avant tout un propos, il offre un cadre que l’on ne doit jamais dépasser : ce que j’appellerais très communément la cohérence.Celle-ci avait été le marqueur de leurs toutes premières chansons. Voilà pourquoi Fleet Foxes s’était si rapidement imposé. Sur Helplessness Blues, les choses se compliquaient, l’instrumentarium s’enrichissait de cuivres free (le final wyattien de The Shrine/An Argument après une succession de refrains entêtants), de violons irréels, que dis-je, universels sur le très réussi Bedouin Dress et de flûtes cabalistiques (The Plains/Bitter Dance). En même temps, l’acoustique dictait son crédo à l’ensemble, les guitares électriques cédant place bien volontiers. Moins de refrains peut-être, à coup sûr de nouveaux formats retenus, certains dépassant allègrement les six minutes. Tout cela restait déconcertant. Si ce n’était la magie du Chant formalisant pour nous une sorte de paradis déchristianisé. Les impressions se bousculaient dans mon esprit non pas que je n’arrivasse pas à fixer quelques lignes directrices fondamentales à propos de Helplessness Blues. A force d’écoutes multipliées, l’album se révélait plus passionnant encore et je parvenais ainsi à produire une analyse précise. J’évoquais plus haut cette idée d’universalité, je crois que cette dernière demeure l’un des premiers piliers définissant ce deuxième opus. Dans Bedouin Dress comme dans Sim Sala Bim, on retrouvait ce folklore si loin de l’americana, cette musique nourrie des sonorités du monde. Il ne s’agissait pas de world music à proprement parler. Cette évolution naturelle n’était pas sans rappeler les axes validés par Page & Plant dans Led Zeppelin III, surtout dans les dernières secondes de Sim Sala Bim, ou ceux explorés par la formation emblématique du folkeux new yorkais Tom Rapp, Pearls Before Swine. Comme pour ne pas sombrer dans le grand bain expérimental, le groupe délivrait quelques morceaux intimistes dans la lignée du premier album. The Cascades, Someone You’d Admire ou encore le si délicat Blue Spotted Tail. Pour le reste, je ressentais profondément la dimension épique de titres incroyables comme The Plains/Bitter Dance au minimalisme médiéval ou Helplessness Blues dont le final, touchant, constituait un merveilleux contre point à la première partie. Face à la dureté du monde, à la médiocrité des commentateurs, la beauté vibrante qui en émanait était pour moi le plus doux des réconforts. Lorelei, à ce propos, fonctionnait à merveille qui dispensaitde façon si légère un mellotron soyeux. L’album s’achevait sur les roulements océaniques, houle rythmique, de Grown Ocean dont les premiers accords rappelaient étrangement les meilleures chansons d’Arcade Fire. Moins d’évidence, plus de transcendance. Devant tant d’audaces, je me sentais si petit, modeste créature animée par le désir de bien faire, de bien dire, de justement retranscrire. J’espérais de toute mon âme y répondre à travers cette note, fugace traduction d’une passion française à l’égard d’une histoire, celle de la pop culture. Je laissais de côté mes élucubrations littéraires pour m’en remettre aux cinq musiciens de Fleet Foxes. Et j’appuyai à nouveau sur play.
19-04-2011 |
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