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Pendant trente ans, dans la chambre de Joë Bousquet, un tableau de Dali (par Alain Paire)

Par Florence Trocmé

Il s'agit d'une huile sur bois de 36, 5 x 45 cm et non pas d'une "toile" comme il en est question plus loin dans une lettre de Joë Bousquet adressée à Ginette Augier. Les spécialistes expliquent qu'on est en présence d'une étude pour un autre tableau de Salvador Dali datée de 1926, période pendant laquelle le peintre correspondait souvent avec Garcia Lorca.    
On aperçoit dans des dominantes bleues un horizon doucement nuageux, parsemé écrira Bousquet, de "seins ailés" et puis dans le registre inférieur, la grève maussade d'une plage ponctuée par les indices d'une iconographie aisément rapprochable du vocabulaire d'Yves Tanguy ou bien de Giorgio de Chirico. A côté des ombres portées d'étranges machines martiennes que Dali appelait "appareils", tout à fait à droite dans l'angle inférieur, on identifie le cadavre d'un âne en putréfaction ainsi qu'un visage penché avec des yeux clos. 
 
La machine avide de dollars n'est pas exactement en route, on peut comprendre que Joë Bousquet ait été séduit par la veine onirique de ce tableau parfaitement conforme à la dynamique surréaliste. Cette fin des années vingt marque le début de son amitié avec Max Ernst et Paul Eluard qui sont venus lui rendre visite à Carcassonne. Gala qui est encore la compagne Eluard n'a pas trop de mal pour convaincre ses amis peintres : ces derniers dont la cote est loin d'être établie, donnent ou bien vendent pour des prix modiques quelques-uns des tableaux qui enchanteront l'existence du gisant de Carcassonne. Un fragment de lettre que Bousquet adresse à Ginette Augier relate les sympathiques circonstances de cet achat. Au tout début de cette lettre, il est question du grand ami de Bousquet, le philosophe Claude Estève qui fut aussi l'enseignant de Ginette, au lycée de Carcassonne. 
 
"Estève t'a-t-il dit que j'attendais un tableau magnifique de Salvador Dali ? il y a six mois que je m'efforce de me le procurer. Prévenu par Eluard et Goemans, un autre poète, qu'il allait être lancé en novembre, j'ai négligé de lui acheter une toile avant que les snobs riches aient établi leurs prix. Et je me suis réveillé, après l'exposition qu'il a faite au milieu d'un succès prodigieux, devant des toiles dont la plus petite se vendait douze mille francs. Atterré. Un ami à moi qui vend des tableaux à Paris, diminuait ce prix de moitié sans se mettre encore à la portée de ma possibilité d'achat... Enfin, je m'étais rabattu sur un petit tableau de Magritte, qui s'appelle "L'idée fixe", et que tu verras dans ma chambre ... 
Je viens de vérifier qu'il suffit d'introduire une femme dans une affaire pour qu'elle s'arrange à merveille. Gala Eluard (la femme de Paul), une jeune Russe délicieuse qui est venue à Carcassonne l'année dernière et qui est la meilleure des amies, passant un mois au bord de la mer en compagnie de Dali, s'est chargée de séduire le peintre en ma faveur, et de me faire vendre directement, en dehors de son contrat, une belle toile. Le dernier prix que l'on m'avait demandé étant ainsi coupé en deux, je me suis trouvé à la hauteur de l'achat : trois mille francs. Je n'ai jamais encore payé un tableau si cher. Mais je n'en aurai jamais eu de si beau. (...) Gala me l'a décrit dans une lettre : je ne l'aurai qu'au commencement du mois prochain. Il s'appelle « Le miel est plus doux que le sang ». Imagine un ciel et un sol, un corps de femme, un âne pourri couvert de mouches, des seins ailés dans les nuages, une véritable merveille".  
 
Certains tableaux sont marqués par d'étranges destins. Jusqu'au 30 septembre 1950, date du décès de Bousquet ce « Miel plus doux que le sang » figurait avec plus d'une centaine de moyens et petits formats dans la chambre de la rue de Verdun qu'on peut aujourd'hui visiter, grâce au dispositif imaginé par le Centre Joë Bousquet et son temps. Avant d'être déposé pendant quelques années au musée de Carcassonne dont René Nelli fut le conservateur, ce bois peint avait effectué une première sortie à Toulouse, 5 rue des Trois journées, lors d'une exposition qui fut imaginée du 8 au 24 mars 1946. L'exposition s'intitulait "Les maîtres du surréalisme", on y découvrait une trentaine de superbes échantillons de la collection de Joë Bousquet (des travaux d'Arp, Bellmer, Ernst, Magritte, Miro ou Tanguy) à quoi s'ajoutaient une toile de Masson et un dessin de Picasso prêtés par René Nelli.  
Dans leur livre composé à propos de La Chambre de Joë Bousquet en 2005 (avec en sous-titre "Enquête et écrits sur une collection") Pierre Cabanne et André Dimanche racontent ce que devinrent les tableaux autrefois entreposés dans la chambre du 53 rue de Verdun. Bousquet n'avait pas rédigé un testament suffisamment précis, il avait seulement émis le vœu que sa collection soit intégralement conservée dans le musée de sa ville natale. Pendant plusieurs semestres, ses tableaux furent accrochés dans une salle du musée : en matière de surréalisme il s'agissait alors de la plus fabuleuse et la plus émouvante collection que l'on pouvait trouver dans un musée de l'hexagone, quelques cartes postales et des photographies en gardent mémoire. Ce privilège ne dura pas, les héritiers de Bousquet préférèrent récupérer les tableaux, un brocanteur de Montpellier et deux galeries parisiennes se chargèrent de les disséminer. Voici ce qu'écrit Pierre Cabanne dans les pages 66-67 de son livre : "La majorité des œuvres de la chambre furent mises en vente. Nelli baissa les bras, j'alertai Jean Cassou en vain ... Après le départ des principales œuvres déposées au musée, un nouveau conservateur ouvrit une "salle Joë Bousquet" inaugurée avec une satisfaction naïve par les autorités municipales : elle regroupait des épaves, prêtées par la famille ou les amis, d'une vie et d'une œuvre. 
 
Pour le tableau de Salvador Dali, il existe un récent épilogue. Il réapparait tout d'abord en 1956 dans la galerie Rive-Gauche de Paris. Un collectionneur par ailleurs détenteur de pièces d'art premier, Jacques Ullmann en fait l'emplette à la fin des années cinquante. Ce tableau vient d'être mis en vente publique chez Christie's London, le 9 février 2011. Son enchère atteint un peu plus de cinq millions d'euros. Son nouveau détenteur est à Figueras la Fondation Gala-Salvador Dali qui l'expose dans ses locaux depuis le mardi 12 avril 2011. 
 
[Alain Paire.] 
 
 
Vient de paraître aux éditions du Garae / Hésiode un livre de Philippe Gardy "René Nelli, la recherche du poème parfait" (445 pages).  
 
A signaler un colloque programmé jeudi 21 avril et vendredi 22 avril :  
"René Nelli et la poésie des carrefours".  
Colloque organisé par l'Ethnopole-Garae à la Maison des Mémoires, 53 rue de Verdun, Carcassonne. Entrée libre, places limitées. 
 
Jeudi 21 avril.  
Matinée, Daniel Fabre, modérateur 
9 h : Philippe Gardy : L’endroit et l’envers du monde sont aussi ceux du poème : René Nelli : l’espace d’une écriture poétique
10 h : Jean Pierre Piniès : Lente lumière noire
11 h : Xavier Ravier : René Nelli et la poésie allemande
Après-midi, Jean Pierre Piniès, modérateur 
14 h : Jean Frédéric Brun : René Nelli et la revue Oc, un itinéraire de toute une vie
15 h : Alain Paire : Marseille / Carcassonne, les Cahiers du Sud, une liaison permanente : René Nelli, Joë Bousquet et Jean Ballard
16 h 15 : François Pic : Les passeurs de la poésie de René Nelli : revues et éditeurs, matériaux et repères
Vendredi 22 avril 
Matinée, Jean Guilaine, modérateur 
10 h : Christiane Amiel : Du folklore à l’anthropologie. Chemins de connaissance. 
11 h : Daniel Fabre : une anthropologie de l’amour. 
Après-midi. Philippe Gardy, modérateur 
14 h : Pilar Jimenez : La fascination dualiste de René Nelli. 
15 h : Jean Guilaine : René Nelli et l’archéologie. 
15 h 30 : Dominique Sacchi : René Nelli à l’écoute de Max Raphaël et son interprétation de l’art paléolithique
16 h 15 : Bernadette Chartier : René Nelli cabaliste.  
 


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