Passés maîtres dans l’art de dénicher les perles noyées au fond des back catalogues, les cockneys de Soul Jazz compilent depuis quinze ans sans faute de goût. Itinéraire d’un label gâté.
Au royaume des compilateurs, les Anglais sont les rois. Parmi eux, Soul Jazz s’extrait grâce à des tympans et des contacts aiguisés, et fait l’objet d’un consensus international sur la qualité de ses sélections. Toutes les pointures londoniennes sont passées par les soirées Soul Jazz, de Gilles Peterson à David Rodigan ou Andy Weatherall, et la critique applaudit des deux oreilles.
Le parcours est classique. Tout commence en 1988 par un magasin de disques, Sounds of the Universe, spécialisé dans la soul et le jazz, et dans les disques introuvables. Après avoir réédité quelques raretés, Stuart Baker, et son compère de l’époque Alec, pensent déjà à compiler les plus demandées par les clients.
En 1991, la boutique déménage du Nord de Londres à Soho et le label Soul Jazz est créé. L’équipe se bâtit au gré des rencontres, et compte aujourd’hui douze salariés polyvalents, tous un peu DJ dans l’âme, ainsi que deux subdivisions, Universal Sounds et Satellite Records. Après un travail obscur de rééditions de vieux titres de jazz (la série des London Jazz Classics), et de production d’artistes pas franchement hype (Ammoncontact, William Bell, Ocho…) le label se tourne vers les autres continents et explore la connexion Afrique/Latin-Brésil (Voodoo Drums, Batucada/Capoeira).
Le succès pointe enfin son nez avec la compile Nu Yorica (Culture clash in New York City) en 1996, qui figure toujours parmi les best-sellers de la maison. De la funk au reggae, le pas est vite franchi, et en 1998 sort 100% Dynamite, qui rassemble les titres phares des soirées du même nom dans les clubs londoniens. Paradoxalement, alors que le label s’évertuait à conceptualiser ces compilations, ce disque qui reprend pêle-mêle des tubes sans autre critère de sélection que les réactions du dancefloor, fait fureur et établit Soul Jazz dans le reggae. Peu après, le label réussit le plus gros coup de sa carrière en obtenant les droits de réédition de Studio One. Retraité dans son magasin de Brooklyn, Coxsone Dodd, fondateur du mythique label jamaïcain, est réputé très dur en affaires et n’a jamais laissé personne ressortir les milliers de titres qu’il possède, attaquant tous les fraudeurs.
Là où tous se sont cassé les dents, Soul Jazz obtient non seulement l’accès à tout le catalogue, mais sort aussi un DVD de quatre heures avec interview de Coxsone et visite guidée dans Kingston, alors que le producteur se murait dans le silence depuis des années. Un coup de maître qui contient aussi sa dose de paradoxe. Dean Atkins, du Soul jazz Soundsystem raconte :“ Tout le monde nous disait que c’était impossible, qu’il ne lâcherait rien. C’est Angela qui a négocié avec lui. Elle n’est pas du tout une fan de reggae. Elle lui a montré nos compiles de jazz, et il se trouve que Coxsone adore le jazz. C’est ce qui a fait la différence. D’ailleurs il déteste la série des Dynamite, qui ne sont que des amoncellements de hits. Il voulait des compilations thématiques“.
Coxsone a bien choisi. Parmi toutes les déclinaisons Studio One sorties (Roots, Soul, Scorchers, Deejays…), il n’y a pas une seule faute de goût. Un sens de la persuasion, doublé d’une finesse dans la négociation. Voilà la force de Soul Jazz, dans un monde où il faut souvent jouer au détective. Dean Atkins continue : “ Pour trouver le propriétaire des droits, il faut parfois mener une enquête. Les pires, ce sont les majors. Ils veulent toujours tout dealer. Il fait les convaincre de la valeur d’un titre obscur sans leur donner envie de le sortir eux-mêmes. Mais une fois qu’ils te connaissent, qu’ils savent que tu fais du bon travail, ca devient un peu plus simple. Le truc, c’est de se faire des amis“.
Soul Jazz est entré dans une sorte de cercle vertueux de la compile. Du bon boulot, des bons amis, du meilleur boulot, des meilleurs amis… L’avenir se présente bien.
Best of Soul Jazz
Studio One Scorchers, S.O Soul
Nu Yorica (Culture clash in New York City)
Hustle ! Reggae Disco
Impact
Miami Sound
Philadelphia Roots
British Hustle
La boutique à Londres
Sound of the Universe 7 Broadwick Street Soho