Certains d’entre vous le savent, entre autres activités je suis tuteur de Mineurs Etrangers Non Accompagnés (MENA): des jeunes de moins de 18 ans qui arrivent (généralement assez paumés) sur le territoire belge, sans leurs parents ni leurs grands-parents et qui viennent y chercher ce qu’ils ne peuvent plus trouver chez eux: un peu de sécurité, d’éducation et plus tard du travail… Pour les accompagner et que ne se reproduisent plus jamais l’affaire Tabita, un tuteur est désigné par le Ministère de la Justice pour les accompagner et les aider dans leur parcours, leur trouver un toit, une école, s’assurer qu’ils sont en bonnes santé, qu’ils sont assisté d’un avocat compétent dans leur procédure, et qu’ils construisent un projet qui a du sens.
Mais voilà, notre beau pays peut faire de belles choses absurdes, comme celle qui vient d’arriver à Mohammed (prénom d’emprunt), qui comparaissait dernièrement devant le Tribunal Correctionnel de Bruxelles. Un criminel donc, me direz vous ? D’autant plus qu’il comparaissait détenu (dans une prison pour adulte…) et condamné à 16 mois de prison… Attendez un peu la suite de l’histoire.
Ou plutôt le début: juillet 2010, après 3 ans d’errance entre son pays d’origine ou sa famille le jette dehors, après être passé par l’Espagne, la France, l’Italie, il arrive en Belgique. Avec deux autres paumés, il s’apprête à dormir dans une voiture dont il ne sait même pas qu’elle a été fracturée par un des adultes qui l’accompagnent (confirmé par l’enquête de police). Arrêté, la police le déclare mineur, le signale aux services compétents qui me désignent comme tuteur.
Mohammed va à l’école, est soigné pour une maladie sérieuse qu’il trainait depuis pas mal de temps, vit dans un internat, fait son possible pour s’adapter au mieux. Bien sur avec trois ans d’errance dans les jambes, on est pas toujours aussi « parfait » qu’un jeune homme belge bien élevé. Mais pas une seule infraction ne peut lui être reproché (à part la nuit dans la voiture) jusqu’à ce qui lui arrive il y a quelques jours.
En rentrant de l’école chez lui, il accompagne un « camarade » de classe pas trop recommandable. La petite frappe pique 5 canettes de Red Bull dans un magasin et les cache dans le sac de Mohammed (tous les témoignages concordent à ce sujet). Mais le malfrat se fait prendre. Et au moment du contrôle, la police se rend compte qu’elle a un « bulletin de signalement » pour Mohammed, condamné par défaut à 13 mois de prison plus 3 mois pour séjour illégal, pour les faits de juillet ! Direction la prison pour adulte, sans possibilité de contacter qui que ce soit. Il lui faut trois jours pour pouvoir me téléphoner, période pendant laquelle je lance de mon côté des recherches pour le retrouver.
Que s’est-il passé ? Le parquet (qui était intervenu sur l’affaire de juillet) ne se préoccupe pas de savoir si Mohammed est mineur ou pas. A leurs yeux, il ne l’est pas. Or, la loi est très claire, c’est le service des tutelles qui est seul habilité à déterminer si un jeune étranger non accompagné est mineur ou pas. Peu importe, le parquet ne consulte personne, ne cherche pas à savoir si le jeune a un domicile (il en a un, connu des autorités, c’est un de mes jobs de m’assurer de cela). Donc, pas de convocation au tribunal. Donc nécessairement pas de comparution… donc tout aussi automatiquement condamnation par défaut.
Et voilà comment dans notre beau pays ou l’on parle de surpopulation des prisons, ou l’on relâche des mineurs qui sont en Xème récidive de faits bien plus graves, on condamne à 16 mois de prison un gamin de 17 ans pour avoir dans son sac 5 canettes de Red Bull volées par un autre et dont rien ne prouve qu’il était complice…
Ah oui… à l’audience, le président du tribunal et le procureur du roi ont en effet compris la bévue du système et décidé de relaxer Mohammed. Mais celui-ci est reparti les menottes aux poignets vers la prison. Comme les fichiers d’identification ne sont pas centralisés dans ce pays, il faut que l’Office des Etrangers confirme que Mohammed n’est pas recherché comme illégal (puisque sa procédure de régularisation est en cours et suspend son statut d’illégal).
Après cela, on s’étonnera que quand Mohammed voit un policier, il a peur de ce qui peut lui arriver…
Tout cela aurait pu être évité si le parquet, entendant que le jeune se prétendait mineur et remettait la carte avec le nom de son tuteur et de son avocat, avait au moins essayé de contacter l’un ou l’autre… Mais là, j’oublie un détail, c’est que Mohammed s’appelle… Mohammed !