Mémoires d’une geisha

Par Ledinobleu

Le Japon des années 30. Alors que leur mère se meurt, Chiyo et sa sœur Satsu sont vendues à une maison de geishas. Vite séparée de son aînée, Chiyo endure toute la rudesse de l’apprentissage qui doit faire d’elle une maîtresse de cet art majeur du Japon féodal ; mais les brimades et les privations restent des épreuves bien moins pires que les jalousies et les rivalités qui agitent la maison. Alors que tous ses espoirs semblent envolés, Chiyo rencontre un homme qui lui donne la force d’aller jusqu’au bout de son apprentissage.

Et pourtant, l’amour reste la seule chose interdite aux geishas…

Mémoires d’une geisha présente les défauts de ses qualités. Si on ne peut considérer ce film comme un documentaire, puisque l’intention assez évidente de son réalisateur ne se trouve pas là, c’est néanmoins cet aspect de la production qui étonne le plus. Car la fable qui se dissimule sous ces paillettes reste hélas bien assez classique pour paraître plutôt convenue, voire même téléphonée. Certains, d’ailleurs, y virent une démarcation à peine enrobée sur le célèbre conte de Cendrillon et je ne leur donne pas tort – pas tout à fait en tous cas… Au reste, le récit ne commence à faiblir que dans son dernier tiers et il faudra encore attendre la toute fin pour le voir friser une certaine mièvrerie.

Mais s’en tenir là serait oublier un peu vite que le cinéma reste fait d’images et de sons avant tout, et que ceux-ci une fois juxtaposés de la meilleure manière produisent une magie à nulle autre pareille. Pour cette raison, Mémoires… se hisse au niveau des plus grands enchantements, et notamment grâce à un dosage tout à la fois subtil et adroit de finesse et de brutalité – ce qui, en plus de ne pas appartenir au registre du facile, et à y regarder d’assez près, correspond à une parfaite définition de ce Japon féodal où, justement, l’intrigue de ce récit se déroule.

Car en fin de compte, c’est bien dans cette dictature de l’apparence que prend racine le pouvoir des geishas, dans cette austérité zen que s’exprime une notion fondamentale de l’esthétique au sein de la culture japonaise traditionnelle. Si on sait depuis longtemps que la beauté s’obtient à travers souffrances et sacrifices, il ne faut pas non plus perdre de vue que beauté rime avec pouvoir : dès lors, la mentalité nipponne ne peut qu’élever cette beauté au rang d’art.

Et un art auquel on sacrifie toute sa vie, autrement c’est qu’on en n’est pas digne. En tous cas du point de vue de ce Japon féodal dont l’extrémisme échappe souvent aux occidentaux. En fait, Mémoires… exprime à merveille toute la dureté du Japon traditionnel sans présenter un seul samouraï et au lieu de ça se focalise sur l’élément inverse du guerrier pour finalement aboutir aux mêmes conclusions qu’un cinéma plus classique.

Au final, Mémoires… reste un film fascinant. Non pour son intrigue somme toute aussi simple que convenue, ni pour ses paillettes pourtant orchestrées de main de maître, mais bel et bien pour sa parfaite adéquation entre son fond et sa forme où les apparences reflètent – au lieu de les dissimuler – des passions à la violence rare.

Récompenses :

- Oscars : Meilleure direction artistique, Meilleure photographie & Meilleure création de costumes.
- British Academy of Film and Television Arts : Meilleure musique de film, Meilleure photographie & Meilleurs costumes.
- Golden Globes : Meilleure bande originale de film.

Notes :

La présence au casting de comédiennes de nationalités chinoise et malaisienne pour interpréter les personnages principaux, pourtant japonais, déclencha une polémique en Asie : alors que des japonais s’estimèrent offensés de ne pas voir certaines de leurs compatriotes dans ces rôles-clés, des Chinois exprimèrent de vifs regrets de voir des comédiennes de premier plan dans l’industrie chinoise du cinéma tenir le rôle de personnages japonais.

Cette polémique se vit exacerbée par des interprétations du terme « geigi » au sens proche de « geisha » dans certaines régions du Japon mais qui peut se traduire par « prostituée » en chinois. De plus, l’époque du récit, au cours de la guerre du Pacifique, raviva les nationalismes locaux en raison des crimes de guerre du Japon. Au final, Mémoires d’une geisha se vit interdit en Chine.

Bien que décrivant une intrigue située au Japon, le tournage de ce film se déroula en fait dans divers lieux et studios des États-Unis, essentiellement en Californie, et à l’exception de certaines scènes qui furent réalisées à Kyoto en fin de production.

Ce film est une adaptation du roman américain Geisha (1997) d’Arthur Golden. L’ouvrage est disponible au Livre de Poche, collection Littérature & Documents, mai 2006, ISBN : 978-2-253-11795-7.

Mémoires d’une geisha (Memoirs of a Geisha), Rob Marshall, 2005
StudioCanal, 2006
145 minutes, env. 10 €