« Travailler plus pour gagner plus » on connaît cette formule qui fit florès pendant la campagne présidentielle de 2007 et se heurta rapidement à la rudesse des réalités. La crise financière et boursière, puis économique n’arrangea rien et la douloureuse question du pouvoir d’achat des salaires demeure une préoccupation majeure pour la grande majorité de nos concitoyens. Si quelques-uns ont pu tirer de gros bénéfices de la crise, pour la plupart ce sentiment d’érosion est très préoccupant. D’autant plus que l’envolée irrésistible du prix de l’énergie, touche durement au portefeuille une très grande partie de la population.
Conscient de cette lacune, sans doute la plus pénalisante de son quinquennat, le Président fait annoncer par le porte-parole du gouvernement, François Baroin, la mise à l’étude d’une prime aux salariés des entreprises qui distribuent des dividendes. En clair, il s’agissait de faire bénéficier aussi les salariés des gains boursiers et pas seulement les actionnaires. Même si la comparaison entre cette prime et les bénéfices boursiers serait hilarante, il n’en demeure pas moins que l’idée était courageuse, pour le moins encourageante. Il s’agit d’étudier « un mécanisme de compensation pour mieux répartir les bénéfices des entreprises » Le ministre du Budget François Baroin avait même évoqué un montant d’”au moins 1.000 euros“.
C’était sans compter sur Madame Lagarde qui module la formulation initiale : “Je ne pense pas qu’on puisse lui donner un caractère obligatoire dans son montant”, déclare-t-elle. Ajoutant : “C’est très important de mon point de vue que les montants, les modalités, la façon dont tout cela s’organise soit négocié entre d’une part les patrons et d’autre part les représentants des salariés”
Le MEDEF est très heureux de cette mise au point en retrait. Il convient de noter que les entreprises acceptant de pratiquer cette distribution se verraient bénéficiaires d’une exonération de charges sociales. Le ministre du Travail, Xavier Bertrand, avait précisé que la mesure concernerait “les entreprises dans lesquelles il y a des dividendes qui progressent”, sous-entendu les grandes entreprises principalement, prenant en compte les difficultés parfois réelles des PMI-PME.
Les syndicats salariaux ne sont pas très chauds devant le projet, lui préférant des hausses de salaires purement et simplement. “S’il y a une prime, les gens la prendront, c’est évident. Mais ça ne règle pas le problème du pouvoir d’achat”, a estimé Jean Claude Mailly, secrétaire général de FO. De son côté, le secrétaire général de la CFDT, François Chérèque, a indiqué que l’idée de la prime allait faire “beaucoup de déçus et très peu d’élus”, incitant également le gouvernement à décider d’un “coup de pouce” pour le Smic qui devrait progresser autour de 2% au 1er juillet prochain, mais pour s’ajuster mécaniquement à l’inflation.
Il devient ainsi maintenant difficile de bien appréhender le projet. Toutes les petites entreprises, celles qui ne sont pas cotées en bourse, celles dont les bénéfices sont en baisse, les sous-traitants des grandes entreprises etc. ne seraient pas concernées et leurs salariés pourraient se sentir abandonnés et mécontents tant il est vrai qu’ils vivent les mêmes difficultés.
N’y aurait-il pas ici comme sur d’autres dossiers, une impréparation coupable, une précipitation de l’immédiat et de l’annonce souvent incompatible avec une réforme de fond. Cette manière de pratiquer, avec la tonitruance initiale des chiffres « tout rond » immédiatement suivie des bémols et d’une batterie de restrictions, est la plus mauvaise manière de faire de la politique. Nous touchons là, sur ce simple dossier, toute la méprise persistante de l’exécutif.
Ce projet n’était pas mauvais au fond : mieux redistribuer les bénéfices des entreprises, faire en sorte que les actionnaires ne soient pas les seuls concernés par la réussite mais aussi les salariés, n’est pas en soi une idée saugrenue. On approcherait une notion bien ancienne de « participation » qui n’a jamais été véritablement admise par le patronat et rarement mise en œuvre de manière consensuelle et généralisée. Mais ce projet est compromis par la précipitation, l’impréparation et la recherche d’un buz immédiat. Un espoir persiste, Nicolas Sarkozy procède souvent ainsi : un effet d’annonce maximaliste, une réaction négative des uns et des autres, pour arriver à une position médiane acceptable par le plus grand nombre. C’est une tactique politique dont il abuse et qui se retourne le plus souvent contre lui, les citoyens ne notant que le recul sans donner quitus de l’avancée.