Ses milliers de lecteurs n’attendront plus qu’elle bouscule une fois encore les bien-pensants et leurs certitudes sur l’amour, l’engagement ou la vie : le 4 avril, Christiane Singer a rendu les armes devant le cancer qui la dévastait depuis l’automne dernier. Mais elle ne laisse pas ses lecteurs orphelins. Avant de mourir, elle a remis à son éditeur le journal qu’elle tenait depuis le début de la maladie.
Entre l’écrivaine aux fulgurances spirituelles et Marie de Hennezel, la psychologue spécialisée dans l’accompagnement de fin de vie, l’histoire d’amitié était longue. Lors d’un forum sur le sacré, elles avaient partagé la même chambre. Là était née une connivence, un « chemin d’âmes sœurs » jalonné de rencontres plus ou moins lointaines. Marie de Hennezel a accepté de nous parler du livre de son amie, et de son ultime combat.
Psychologies : Qu’avez-vous éprouvé en lisant le livre de Christiane Singer ?
On est frappés par l’intensité de ses souffrances…
C’est là que réside le caractère d’authenticité de ce témoignage : Christiane Singer ne faisait pas l’impasse sur l’enfer de la souffrance, sur la tristesse de certains jours, sur son « potentiel de ressentiment ». Elle ne marchandait pas avec la maladie. Elle avait décidé, dès qu’elle en avait appris la gravité, de la vivre pleinement. Les moments difficiles alternaient donc avec des instants de grand bonheur, de joie, d’émerveillement. Puis, au fil des pages, la sérénité et le sentiment de liberté n’ont cessé de grandir. Pour elle, terminer ce livre a été un grand moment de bonheur : elle avait tenu le contrat qu’elle avait passé avec elle-même, celui de témoigner, chose qu’elle a fait toute sa vie à travers ses livres et ses conférences. Pour moi, c’est le livre d’un maître. Il a la même qualité et la même portée pour notre monde que le journal d’Etty Hillesum (Son journal, Une vie bouleversée (Points, 1995), qu’elle débute à 27 ans, en 1941, évoque notamment son évolution spirituelle au cours des derniers mois de sa vie – elle est morte à Auschwitz en 1943).
Alors que le débat sur l’euthanasie vient d’être relancé avec le procès de Chantal Chanel et de Laurence Tramois (Chantal Chanel, infirmière, et Laurence Tramois, médecin généraliste, ont été jugées pour avoir aidé à mourir une patiente atteinte d’un cancer en phase terminale en 2003. La première a été acquittée et la seconde condamnée à un an de prison avec sursis), que nous apprend le livre de Christiane Singer ?
Dans quel état d’esprit se trouvait-elle lors des jours qui ont précédé sa mort ?
Elle était dans l’acceptation. Chacun meurt comme il a vécu. Christiane a toujours eu cette passion, ce don de rechercher la merveille dans chaque chose. Elle a vécu cet ultime temps de vie avec la même passion. La dernière fois que je l’ai eue au téléphone, elle m’a dit : « Je suis loin, très loin, mais je suis bien. » Ce qui m’a frappée, quand je suis allée lui dire au revoir, à Vienne, en Autriche, en entrant dans sa chambre, c’est le paradoxe entre les signes évidents de sa mort prochaine, sa maigreur, sa fragilité physique, et puis l’énergie qui débordait d’elle et qui régnait dans la chambre. Son regard, son sourire étaient pleins de vitalité. Elle reposait les mains ouvertes, sans attente, prête à tout.
Août 2009