Aussi prévisible que la charge du taureau sur le chiffon rouge : la ruée des fronts bas « intégristes » sur l’œuvre blasphématoire exposée en Avignon, le désormais célèbre Piss Christ. D’éminents blogueurs catholiques n’y croyaient pas, condamnant justement la facilité qu’il y a à provoquer des adeptes du « tends l’autre joue ». Et pourtant : en guise de joue, c’est un marteau qui a été tendu, en plein dans l’œuvre d’art. La scène est trop belle : on imagine les fidèles, chauffés à blanc par un prêche rageur, sortir tous revigorés de la messe dominicale et bien décidés à aller administrer les derniers sacrements aux marchands du temple. Hélas, en termes de communication et d’image, le bilan est tout autre, le genre d’incident industriel comparable au lynchage par Renault de ses cadres, ou à la découverte des vertus explosives de l’iPhone d’Apple. Sunday, bloody Sunday pour la marque « Jésus Christ » : « lescathos » (l’opinion et lesmédias ne connaissent pas ou peu la nuance) ont réussi en un dimanche la parfaite synthèse de ce qu’il ne faut pas faire, aller contre sa propre image (la non-violence) ET contre la maxime cardinale de l’époque, la tolérance. Ajoutons à cela une suspicion d’obscurantisme et d’incompréhension de l’art moderne, et le Graal est plein. Il ne manquerait plus que l’on découvre que les vigiles « ceinturés » de la galerie d’art étaient l’un gay, l’autre musulman, et qu’ils ont également été violentés par les croisés anti-pipi !
La Jésus, Inc. révèle donc un manque criant de stratégie médias et de plan comm’. Déficit paraissant encore plus lourd si on le compare aux autres activistes du mois – les suffragettes voilées, militantes du « niqab parce que je le vaux/veux bien ». Les unes ont tout compris à l’air du temps, les autres, rien. Défendre le voile intégral, c’est défendre la minorité contre la majorité, et surtout la libre volonté, la liberté de l’individu, avec un zeste sympathique d’orientalisme tiers-mondiste. C’est mettre les libéraux, les libertaires et des humanistes à la petite semaine de son côté. Les Torquemada du dimanche ont pris l’exact contre-pied de cette recette-miracle : brimer la liberté de l’artiste, et incarner la brutalité d’une majorité (perçue) contre une minorité (par nature), celle de l’artiste provocateur. Or c’est bien connu : le taureau a toujours tort à l’égard du chiffon rouge.
Il faut donc sérieusement se reprendre, et tout remettre à plat, du côté des fidèles de la croix. Arrêtez de grogner sur le thème « qu’aurait-on dit si on avait ainsi traité les Musulmans ou les Juifs ? ». Contentez-vous de reproduire ce qui marche, et de retourner contre eux les armes de vos ennemis et concurrents.
D’abord, commencez par devenir minoritaires. Oui, les messes ne font plus recette, et la France est passée du statut de fille-aînée-de-qui-vous-savez à celui de terre de mission. Mais l’imaginaire collectif a la vie dure, et persiste à vous placer du côté des dominants. Prenez donc des mesures draconiennes : vendez votre parc de lieux de culte, reconvertissez-les en sex-shops, boîtes de nuit, mosquées, temples bouddhistes, salles de shoot, en signe d’ouverture et de tolérance. Créez une pénurie d’églises pour vos ouailles : organisez ensuite des prières de rue du côté de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, rameutez les journalistes, plaignez-vous de la précarité religieuse et immobilière dans laquelle vous tiennent les collectivités locales. Avec un peu de chance, vous vous attirerez les foudres de la nouvelle défenseuse de la laïcité – Marine Le Pen, celles de Marianne aussi et donc – automatiquement – les louanges du Nouvel Obs.
A partir de là, travaillez votre victimisation. Et développez le langage qui va avec. Évitez le terme de racisme, trop connoté et qui risque de faire un peu too much (le racisme anti-blanc n’a pas convaincu grand monde). En revanche, il n’y a pas de raison que vous n’ayez pas droit à votre –phobie : xénophobie, homophobie, islamophobie, et même prolophobie – en avant la christianophobie ! Certes, le mot est un peu connoté extrémiste, il va falloir le toiletter. Expliquez que les élites urbaines mondialisées païennes méprisent les Chrétiens et les maintiennent en insécurité cultuelle. Racontez comment des jeunes chrétiens sont molestés dans la rue, comment des extrémistes laïcards se ruent sur les croyantes pour leur arracher leur crucifix ou leurs images pieuses. Faites savoir que les Rroms sont souvent chrétiens pour vous attirer les bonnes grâces de la LDH. Rappelez que vous venez de Palestine et organisez une rencontre entre des Chrétiens de Gaza et Stéphane Hessel (avec un peu de chance, il vous écrira un Convertissez-vous ! avant l’été). Créez des collectifs de lutte attestant de votre haute idée de l’égalité femmes-hommes : « Chrétien-ne-s solidaires et indigné-e-s », « Cathos précaires et motivé-e-s », et autres « Bonnes sœurs sans-papières ». Enfin, proposez à Terra Nova un rapport intitulé Pour une citoyenneté catholique, où vous préconiserez que l’on déploie des scouts dans les quartiers et les villages pour appeler les abstentionnistes à voter.
Enfin, soyez fun. Occuper le terrain de l’agit-prop. Oubliez les sit-in et autres pray-in, trop connotés secte adventiste ou mouvement anti-avortement. Utilisez à fond le potentiel théâtral de la Bible : organisez par texto des resurection (flash) mobs, des crucify-in devant les bars gays, les mosquées de cave et les locaux du Parti de Gauche, dressez des croix, clouez-y vous, et attendez que l’on vienne vous éjecter manu militari pour porter plainte et envoyer le porte-parole de SOS Christianophobie à Ce soir ou jamais. Autre option, l’immolation est douloureuse mais est à considérer, au vu de ses résultats récents.
Bref, n’ayez pas peur : la pente est rude, mais le chemin est droit. Suivez ces quelques préceptes simples, et la croix pourra bientôt faire concurrence au keffieh dans les rassemblements gauchistes.
Romain Pigenel
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