Emmanuel Martin – Le 18 avril 2011. Nicolas Sarlozy avait pu apparaître en 2007 comme le candidat des « idées », des « valeurs », bref : d’une vision. Les mauvaises langues diront que face au vide conceptuel des programmes de M. Bayrou ou de Mme Royal, l’exercice n’était pas des plus ardus. En réalité cependant, la « méthode Sarkozy » est depuis longtemps moulée dans le pragmatisme, le court-termisme, et se fonde amplement sur la réaction impulsive aux évènements. Le défenseur des droits de l’homme du soir du 6 mai 2007 accueille en grandes pompes le colonel Kadhafi sur les pelouses en face de l’Élysée sept mois plus tard, puis le bombarde trois ans après. Le, paraît-il, libéral devient un défenseur du « retour » de l’État à la faveur de la crise financière en septembre 2008. Pour paraphraser Auguste Comte, « il n’y a pas de principe absolu, voilà le seul principe absolu » : et voilà, pourrait-on dire, la devise présidentielle, celle de son parti et de son gouvernement.
A l’approche des élections l’opportunisme s’exacerbe. Le vent nouveau, ou presque, qui fait tourner la girouette du gouvernement français, nous vient sans doute aujourd’hui d’une extrême droite très « sociale », celle de Marine Le Pen, dont le programme populiste est empreint à la fois de nationalisme, un fond traditionnel du FN, et de socialisme, une composante idéologique plus récemment intégrée au mouvement d’extrême droite, développée pour ratisser sur les terres d’extrême gauche : de la haine du patron à celle de l’immigré, le chemin n’est pas si long. La percée du FN dans les sondages et ses bons scores – en termes de pourcentage de votes – aux cantonales ont sans doute constitué un signal pour le gouvernement, qu’il fallait assurer son flanc droit, mais, suivant le sillage de la stratégie du FN, aussi le gauche. La campagne a bel et bien commencé : anti-immigrés, anti-capitaliste. Douce France.
Après ses déclarations fin mars sur le nombre problématique de musulmans en France le Ministre de l’Intérieur Claude Guéant a ainsi annoncé début avril son souhait de limiter le nombre d’étrangers accueillis légalement sur nos belles terres. Xavier Bertrand, Ministre du Travail lui a emboîté le pas : il faut désormais raccourcir la liste des métiers pour lesquels le recours à la main d’œuvre étrangère est facilité, et former des demandeurs d’emploi français. Évidemment dans un pays dont la générosité du système social permet toutes les dérives (pas que des immigrés), il faut effectivement se poser des questions sur l’immigration. Mais n’est-on pas en train de prendre, comme d’habitude, le problème à l’envers justement ?
Ensuite, la droite a toujours la réputation d’être « dure », socialement parlant. Il lui fallait donc jouer sur le tableau social, toujours dans le sillage du FN. La gauchisation du FN a sans doute été d’ailleurs amplifiée pour l’UMP par le départ de Jean-Louis Borloo, déçu du manque de social dans le parti présidentiel. Ainsi, alors que le Président Sarkozy soutenait la suppression de l’ISF il y a encore quelques semaines, voilà qu’on le maintient. Le bouclier fiscal, élément majeur du programme de 2007, lui, disparait. Quand à ceux qui voudraient fuir ce paradis fiscal hexagonal, où les problèmes de budget ne sont jamais réglés par la baisse de la dépense publique globale mais par la hausse de l’impôt, une nouvelle exit-tax les attendra à la frontière – recrée pour l’occasion semble-t-il.
A cette anti-réforme fiscale est venu s’ajouter la semaine dernière un retour de la troisième voie dans le plus pur gaullisme : quand les dividendes progresseront pour les actionnaires dans les entreprises, des primes seront versées aux salariés. Signe d’une mécompréhension profonde de la logique salariale et de la logique capitaliste, on expliquera sans doute aux actionnaires qui risquent leur capital pourquoi, de manière arbitraire, leur investissement devrait rapporter soudainement moins en France : ils se feront un plaisir d’aller voir ailleurs.
La France regorgeait-elle tant d’investisseurs capitalistes pour alimenter le capital de ses entreprises bien trop nombreuses puisqu’elles permettent au pays de jouir d’un taux de chômage de 2% ( !) ? Avait-elle besoin d’une énième loi, dont l’idée a été lancée sur les ondes radio avec, on n’en doute pas, une minutieuse préparation d’économistes durant de longs mois ? Et ce avec comme mesure phare une prime magique de 1000 €, aux trois zéros racoleurs en forme d’œufs de Pâques ? Avait-elle besoin d’un nouveau changement des règles du jeu, participant ainsi à ce sport national qu’est la création d’incertitude juridique et fiscale ? Et qui découragera un peu plus l’entrepreneuriat et minera un peu plus le dialogue social ? Tout cela pour caresser le poil d’un électorat anti-capitaliste ?
Le pragmatisme de l’UMP a atteint son paroxysme : l’électoralisme pur et dur. Ceux qui avaient voté pour Nicolas Sarkozy en 2007 sur des valeurs qui se voulaient proches des idées de la liberté et de l’état de droit sauront s’en souvenir.
Emmanuel Martin est analyste sur www.UnMondeLibre.org