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Vandalisme intégriste dans un musée d’Avignon

Publié le 18 avril 2011 par Savatier

 Autant le dire tout de suite, Piss Christ, la photographie que l’artiste américain Andres Serrano, avait réalisée en 1987 et qui représente un crucifix de plastique plongé dans un verre d’urine, ne me parle pas. J’y suis insensible. Si le crucifix avait été immergé dans du sang, on aurait pu y voir une dénonciation des guerres de religion, des crimes de l’Inquisition ; s’il avait été plongé dans un bain de dollars, l’œuvre aurait pu rappeler les dérives financières mafieuses que l’IOR, la banque du Vatican, a pratiquées depuis la fin des années 1960 jusqu’à une époque toute récente. Mais là, j’avoue volontiers que sa dimension symbolique m’échappe, en dépit du fait qu’elle s’inscrit dans la série Immersion pour laquelle Serrano avait utilisé des fluides corporels, devenus suspects et anxiogènes dans ces années 1980 qui marquèrent l’apparition du SIDA.

Pour autant, qu’on le veuille ou non, cette photographie est une œuvre d’art, elle fut distinguée, dans la très puritaine Amérique, en 1989, par le prix du Southeastern Center for Contemporary Art, organisme financé par des fonds publics, et – beaucoup plus important – elle est le fruit de la liberté de création et d’expression d’un artiste, une liberté non négociable que les pouvoirs publics doivent s’honorer de garantir dans un pays laïc où, fort heureusement, le délit de blasphème appartient à des temps révolus. Le rôle de l’artiste n’est pas de plaire, mais de questionner, de perturber et d’interpeller le monde.

Dans la galerie Lambert d’Avignon, il y a quatre ans, Piss Christ avait déjà été exposé, sans avoir fait l’objet de protestation. Cependant, et alors que l’exposition est ouverte depuis décembre dernier, une virulente campagne a été récemment initiée par des groupuscules catholiques intégristes proches de l’extrême droite, dont l’un, l’Institut Civitas, se revendique comme un «mouvement politique regroupant des laïcs catholiques engagés dans l’instauration de la royauté sociale du Christ sur les nations et les peuples en général, sur la France et les Français en particulier». Une « profession de foi » qui n’est pas sans rappeler le projet de grand califat islamique que certains groupes d’extrémistes musulmans appellent de leurs vœux. Mêmes causes, mêmes effets. Sur le site Internet de Civitas, les téléphones et courriels de plusieurs responsables de l’exposition (Yvon Lambert, Michel Vauzelle, président du Conseil régional de la région PACA, Marie-José Roig, maire d’Avignon, etc.) ont été publiés. Cette action s’est traduite par une série de protestations et d’insultes à l’encontre des intéressés, sous le regard apparemment bienveillant, voire complice, de l’archevêque local, dont les méthodes autoritaires et les sympathies pour les thèses intégristes sont d’ailleurs peu apprécié des fidèles de son diocèse.

Hier, la protestation s’est transformée en acte de vandalisme, lorsque plusieurs gros-bras, séchant manifestement la messe dominicale, ont détruit vers 11H30 la photo à coups de marteau, non sans avoir également molesté (charitablement, sans doute) un gardien avant de courageusement prendre la fuite. Preuve qu’ils ne manifestaient guère une vocation de martyr pour les convictions qu’ils prétendaient défendre… Pour une raison inconnue, ils se sont aussi attaqués à la photographie paisible des mains d’une religieuse, The Church, Sœur Jeanne Myriam.

Ce n’est pas la première fois que des intégristes catholiques s’attaquent à une œuvre d’art. En 2006, l’un de ces groupes avait blessé un gardien en protestant contre une exposition de robes de mariée organisée dans la chapelle royale du château de Versailles dans le cadre de la Nuit blanche. En 2009, trois intégristes avaient vandalisé deux dessins d’Ernest Pignon-Ernest exposés sur la façade de la cathédrale de Montauban, au prétexte que l’artiste, qui avait respecté une œuvre d’Ingres dont il s’était inspiré, avait discrètement sexué les anges qui en étaient le thème.

La destruction de Piss Christ rappelle, à une échelle plus modeste, l’affaire des caricatures de Mahomet qui avait été exploitée tout aussi tardivement par des fondamentalistes musulmans. Ces actions violentes traduisent une inquiétante montée en puissance des communautarismes religieux mis en concurrence et montrent – comme l’acte imbécile de Terry Jones, ce pasteur américain en mal de publicité et de finances ayant récemment brûlé un Coran – que l’intolérance religieuse, quelle que soit son origine,  a de beaux jours devant elle. Ces exactions appellent à la vigilance et à la fermeté dans la défense de la liberté de création.

Par un heureux paradoxe (mais le titre de l’exposition n’est-il pas « Je crois aux miracles »…), la photographie d’Andres Serrano n’a rien perdu de sa valeur après sa tentative de destruction ; bien au contraire. Elle mérite désormais d’être exposée comme un symbole de ce que peut produire la radicalité, la volonté de censure et l’archaïsme médiéval d’une poignée de fanatiques d’arrière-garde.

Illustrations : Affiche de l’exposition - Andres Serrano, “Soeur Jeanne Myriam”, photographie.


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