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Publié le 18 avril 2011 par Veille-Education

J’ai de plus en plus de difficultés à comprendre ce qu’on attend de l’école, ce qu’on attend des élèves, ce qu’on attend des enseignants, ce qu’on attend de moi.

Depuis quelques années déjà, on nous fait comprendre, par injections homéopathiques du virus de la réunionite aigue, qu’il ne faut plus noter nos élèves, car la note chiffrée est trop subjective. Elle stigmatise l’enfant, l’empêche de progresser, le fige dans ses erreurs. On nous fait comprendre qu’il est temps à présent d’évaluer ce qu’il sait faire et non plus ce qu’il doit savoir faire et qu’il ne sait pourtant pas faire.

On nous demande donc de mettre des croix dans des petits cases. Evaluer ainsi les compétences en lecture, en écriture, en mathématiques. Sur le papier, c’est beau, c’est ambitieux. Le jargon sonne comme un vers de Mallarmé. Sur le papier, on sent cette envie honorable de valoriser l’élève-roi. De sublimer son statut d’écolier. Sur le papier. Seulement sur le papier.

Dans la réalité, il en est tout autre. La grille de référence du socle est complexe. Trop pour être honnête.

Pour exemple, si mon élève de troisième est capable, même en ânonnant, de décrypter un texte simple, de respecter à l’oral une ponctuation sommaire, d’en expliquer les principales étapes, alors il obtiendra une jolie gommette verte qui validera l’item « Lire », « Compétence 1″, « Maîtrise de la langue française »…

Si ce même élève connaît à peu près ses tables de multiplication et sait reconnaître un triangle rectangle, il aura validé l’item « Savoir utiliser des connaissances et des compétences en mathématiques », « Compétence 3″, « Les principaux éléments de mathématiques et la culture scientifique et technologique ».

Mais ce que l’on oublie, c’est que l’on valide un élève de troisième. Un adolescent qui devra dans trois ans passer le Bac, qui dans quelques mois seulement sera un lycéen, à qui dans quelques années à peine on demandera de rédiger des lettres de motivation, des CV…

Si vous avez perdu le fil, que vous avez soudain une envie compulsive de gober un cachet d’aspirine, c’est tout à fait normal. Je suis accro à l’aspirine depuis quelques années déjà. Le jargon me donne mal à la tête. Jargon est un mot qui rime trop…

Depuis longtemps. J’ai mal. Ma tête explose un peu plus chaque jour. Je ne sais plus ce que je dois enseigner, à qui je dois l’enseigner, pourquoi je dois l’enseigner.

En tant que professeur principal d’une classe de troisième et professeur de français, je pensais jusque-là avoir pour rôle de les orienter au mieux. De ne jamais revoir à la baisse mes objectifs. De tous les préparer à la seconde générale, même si certains iront en lycée professionnel. De leur prouver d’ailleurs que le lycée professionnel n’a rien à envier à la voie générale, que le lycée profesionnel demande aussi d’avoir des bases solides en langue française, en mathématiques, d’avoir une culture personnelle étendue.

Je pensais que je devais leur donner les outils pour devenir des adultes complets, capables de réfléchir, de jauger, de juger avec objectivité. Des adultes capables de percevoir le monde autrement. Je pensais qu’il me fallait attiser leur curiosité, leur donner la soif d’apprendre, encore et toujours. Je pensais aussi, naïvement, qu’accepter l’échec c’était aussi progresser.

Je ne pensais pas qu’au bout de six ans d’enseignement, mon rôle se réduirait à coller des gommettes vertes ou rouges sur une grille de référence. A figer mes élèves dans des cases.

Aujourd’hui, j’avoue que je suis perdue.

Cela fait un moment, d’ailleurs, que je n’ai pas écrit sur ce blog. Je ne me reconnais plus dans mon métier. On me demande d’augmenter mes notes, de mettre des croix, de fermer les yeux sur certains manques. On me demande d’obéir, de courber l’échine, encore et encore. Nourrir les chiffres positifs du ministère. Montrer à Monsieur et Madame tout le monde que l’école française est une réussite, que 80% d’une même génération a le niveau baccalauréat, que 90% des élèves en fin de troisième ont un niveau scolaire identique à celui des autres élèves européens.

Je ne suis pas un numéro. Mes élèves valent plus que ces petits croix dans ces petites cases. Si mes élèves ont des difficultés en lecture, s’ils ne maîtrisent pas l’orthographe, s’ils sont incapables de dire qui était Napoléon, s’ils ne connaissent pas leur table de 7, s’ils pensent que Picasso est une marque de voiture, je n’ai pas le droit de les conforter dans leurs illusions. La nouvelle génération doit dépasser la précédente, non l’inverse. Je ne peux rester spectatrice de cela et me taire.

Pourtant. Je me tais.

Silence radio depuis six mois. Une lettre de démission invisible commence à s’écrire sur un coin de mon bureau. Je suis professeur de français, je ne suis pas fonctionnaire.
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