Mauvaise surprise, le quai du métro est noir de monde !
Moi qui espérais tant finir ce petit livre, commencé hier au soir, si poétique et bien écrit. Pour l’instant, il déforme la poche droite de mon manteau, je sens son poids intime et alléchant contre ma cuisse. Il me faudra attendre. Cette foule promet un compartiment plein à craquer, et un voyage désagréable, le nez collé sur les portes coulissantes. Aucun moyen de lire, c’est certain, juste une demi-heure pour penser, moi qui ne voulais penser à rien, justement, ce matin.
Une sonnerie stridente annonce la venue d’une nouvelle rame, la foule se presse dans un mouvement unique et s’engouffre en silence dans le wagon qui lui fait face. Les visages impassibles se frôlent et s’ignorent tandis que je laisse mon regard s’attarder sur les néons qui filent à tout allure derrière les vitres sales. Il est huit heures, et je sais que je vais le retrouver tout à l’heure, lui.
Depuis que je vis ici, dans Paris, il m’a fallu apprendre à éviter les regards, à marcher vite, à me fondre dans la foule et à vivre seule, du moins au début. Puis j’ai rencontré Paul, nous nous sommes plu et tout est allé très vite. Nous avons loué un petit appartement confortable. Nos livres et nos babioles se sont serrés les uns contre les autres, une certaine idée du bonheur, quotidien.
Et voilà que je pense, à cet autre, au plaisir que j’ai d’aller travailler, depuis qu’il est là, à son sourire amical, à tout ce que je sais de lui, à tout ce qu’il ignore, à l’absurdité de tout cela, de ma vie.
La rame du métro, en partie désertée, s’arrête au terminus. Je suis arrivée. La foule pressée s’éparpille aux quatre coins du parvis de la Défense. J’aperçois, au loin, l’immeuble où je travaille. Dans quelques minutes, lorsque je franchirai le seuil du bureau que nous partageons, il m’embrassera, sur les deux joues. Sa femme et ses enfants me souriront gentiment dans leur cadre photo.
Et je retiendrai ce mouvement, interdit, de mes mains vers les siennes.