En 1883, Marx meurt ; Keynes nait trois mois plus tard. La même année, l’économiste autrichien Carl Menger – injustement tombé dans l’oubli en France – publie ses volumineuses Recherches sur la méthode, un ouvrage majeur qui décrit tant la démarche intellectuelle pour accéder au savoir en économie que les écueils à éviter.
Pour le lecteur contemporain, ce texte n’a pas seulement un intérêt historique, bien qu’il ait inspiré plusieurs des grands penseurs du XXe siècle, parmi lesquels Ludwig von Mises ou Friedrich Hayek. Au contraire, cette première traduction en français tombe à point nommé. Car les travers intellectuels contre lesquels Menger bataille sont encore ceux que l’on peut dénoncer aujourd’hui : la mathématisation injustifiée de l’économie, et surtout l’usage abusif de « concepts collectifs » (l’État, la société, etc.) comme s’ils existaient indépendamment des individus et des entités qui les composent.
A la fin du XIXe siècle, Menger est engagé dans une « querelle des méthodes », face à l’école allemande d’économie. Il plaide pour l’individualisme méthodologique. Par exemple, il livre un éclairage nouveau sur l’émergence de la monnaie. Dans toutes les sociétés, une forme de monnaie existe, mais celle-ci n’est ni le fruit d’une convention, ni la conséquence d’une décision positive d’un législateur. Au contraire, elle a émergé spontanément dans des sociétés de troc par la multiplication des interactions humaines. Des biens ont été sélectionnés, par essais et erreurs, pour devenir des monnaies.
Une volumineuse introduction précède la traduction, ce qui facilite l’accès du profane au texte. Gilles Campagnolo, l’auteur de ce remarquable travail, revient notamment sur la vie de Menger, ses activités de « conseiller du prince » en matière de finances publiques, et l’ampleur de sa pensée qui a irrigué le XXe siècle jusqu’à nos jours.
Guillaume Clérel
Editions EHESS
574 p.
42 euros
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