d'après Maupassant (2)

Publié le 18 avril 2011 par Dubruel

HAUTOT PERE ET FILS

Veuf depuis des années, Hautot

Invita en sa ferme-château

Pour l’ouverture de la chasse.

Deux camarades de classe

Le percepteur Bersont,

Et Mondaru, le notaire.

Buvaient un verre

Avec le fils de la maison,

César,

En attendant le départ.

César, bon garçon,

Plein d’admiration

Pour son père, avait suivi l’école

Au lycée agricole

Pour une instruction suffisante

Mais pas trop valorisante

Afin qu’il ne tourne au monsieur

Éloigné de la terre, pardieu !

Bersont demanda : « Et le lièvre,

Y en a-t-il du lièvre ? »

-«Certes oui, dans les fonds

Et là-bas, sur ce vallon. »

Répondit Hautot, partant.

Les autres suivirent dans l’instant.

En chemin, les cœurs

Des chasseurs

Battaient un peu.

Les doigts nerveux

Tâtaient les gâchettes.

Hautot-père, en-tête

Du triumvirat,

Soudain tira.

Une perdrix s’écrasa.

Hautot s’élança

Et disparut dans le fourré

Où le gibier s’était terré.

Eclata un second coup de feu.

Le notaire hurla : « Bon dieu ! »

Hautot ne répondait pas.

César dit : « Allons aider papa.»

Le garde cria : « V’nez ! Vé !

Y a un malheur d’arrivé !»

Hautot venait de lâcher son fusil

Pour saisir le volatile

Qui avait chuté

A portée.

Malheureusement,

Ce second coup le touchait

Au ventre grièvement.

Tous vite approchaient

Et le virent sur le flanc

Déjà couvert de sang.

Hautot

Fut aussitôt

Porté dans son lit.

On attendit

Le médecin et le curé.

César fut tout éploré

Quand le docteur examina

Son père et qu’il affirma :

«Je fais des points de suture

Mais ça n’a pas bonne tournure.»

Épuisé, le père Hautot râla

«J’me suis éventré, voilà ! 

Fils, viens m’écouter.

Mets-toi de ce côté.

Ça fait sept ans

Qu’est morte ta maman.

J’me voyais pas

Rester veuf c’temps-là.

Comme tu sais,

L’homme n’est pas fait

Pour vivre seul. Alors, j’ai pris

Une petite, Fanchon Dauvry,

Elle a été pour moi

Gentille, dévouée, très chère,

Une vraie femme, quoi !

Tu saisis, mon gars?»

-«Oui, père.»

-«Alors, si j’m’en vas,

Faut lui donner du sérieux

Ça la mettra à l’abri, pardieu !

J’ai de l’argent.

Tu comprends? 

Mais un testament, j’ai pas voulu.

Ça embrouille tout, vois-tu ? »

-«Oui, père»

-«Sans le souvenir de ta mère,

Je l’aurais épousée.

Et j’avais pensé

Que sur ma fin,

J’allais t’annoncer

Ces choses-là, enfin…

Va donc voir cette petite

Au 28 rue Legris. De suite,

Dès que j’serai parti.

Vas-y l’ jeudi.

Ce jour-là, elle m’attend.

Tu m’en fais serment ? 

Tu verras,

Elle t’expliquera.

J’peux pas m’confier à toi

Davantage. Embrasse-moi.»

Hautot mourut dans l’heure,

Ayant subi d’atroces douleurs.

Le jeudi, César attela Gindro,

Et partit au grand trot

Vers Rouen, tout déconcerté

D’avoir à affronter

De son père enseveli, l’amie.

Mais il pensait : «J’ai promis.»

Au domicile de la petite Dauvry,

Il sonna. La porte s’ouvrit

Sur une jeune dame

Brune aux reflets de flammes,

Bien habillée, le teint frais.

-«Monsieur, vous désirez ?»

-«Je suis Hautot-fils»

Surprise, elle fit :

-«Monsieur César ?»

-«Oui, de la part

De papa, j’ai un aveu…»

-«Mon Dieu ! »

César vit alors un enfant

De quatre ou cinq ans

Jouant devant le fourneau,

Où un plat restait au chaud.

Trois couverts étaient disposés

Sur la table joliment dressée.

-«Asseyez-vous là, tiens, 

Eh bien ?… »

-«J’peux pas vous conter…

Dimanche, hélas…

Mon père s’est tué à la chasse. »

La petite se mit à sangloter.

-«Nous arrangerons tous deux

L’affaire selon ses vœux.

Écoutez-bien.

Pour vous, il m’a laissé du bien.

Vous n’avez rien à craindre

Vous n’aurez pas à vous plaindre.»

-«Oh ! Monsieur César,

Mais pas aujourd’hui, j’ai le cœur qui part.

Un autre jour, une autre fois.

Et si j’accepte, c’est pas pour moi.

J’peux vous l’promettre.

Ce sera pour le p’tit. J’vais mettre

Les sous sur sa tête.»

Dit Fanchon d’une voix fluette.

Alors effaré, César devinant

-«C’est donc à lui, c’t enfant?»

Il regarda son frère avec émotion

Puis reprit la conversation.

-« Quand va-t-on en causer

Car vue l’heure, j’dois vous laisser.»

-« Oh ! Ne partez pas,

Ne me laissez pas.

Il est encore tôt.

J’ai plus qu’mon petiot.

Oh ! qué malheur. Qué misère ! 

Parlez-moi encore de votre père.»

Puis Fanchon balbutia :

-« Mon, pauv’ petit gars,

Te v’là orphelin présentement.»

-«Moi aussi», ajouta César tristement.

Puis se réveilla chez la jeune mère,

L’instinct de la ménagère :

-« M’sieur, vous n’avez sans doute

Rien pris…Et cette longue route…

Mangez donc avec nous deux.»

-«Merci, j’suis ben trop soucieux. »

Elle insista.

Il céda,

Prit une pleine assiettée

Des tripes qu’il entendait crépiter

Sur le fourneau

Et but deux verres de bordeaux.

-«Quand voulez-vous

Qu’on parle entre nous ?

-« Jeudi prochain ?»

-« Ça m’va, jeudi prochain. »

-«Vous déjeunerez, n’est-ce pas ?»

-« Ça, le promettre, j’peux pas. »

-«On cause mieux en mangeant.

…On a plus de temps. »

-« Eh bien, soit !,Jeudi à midi. »

César prit congé sitôt dit.

Il serra la main de la maman

Et embrassa l’enfant.

Huit

Jours, c’est long.

Et les nuits …

Elle lui avait plu Fanchon.

Il voulait faire les choses en grand :

Donner une rente de mille francs.

Puis l’idée de ce frère,

Le fils de son propre père,

Le tracassait

Et en même temps lui plaisait.

Le jeudi venu, il avait l’âme légère.

Longuement, ils déjeunèrent.

Fanchon ne voulait pas tant d’argent

Mais elle eut pour César

Des soins touchants.

Elle sortit du placard

La pipe du père et la lui remit.

A cinq heures, César se mit.

Debout : « Je vous souhaite le bonsoir,

Charmé d’avoir pu vous revoir.»  

Fanchon restant face à lui, conclut :

-«On s’verra jamais plus ?»

-« Mais si. J’veux bien.»

-« Alors jeudi qui vient,

Ça vous irait ? 

Vous déjeunerez,

N’est-ce pas ? »

-« Si vous voulez, j’refuse pas.»

-«Entendu, alors à jeudi. »

-« Parfait. A jeudi midi. »

signé Balthazar,

d'après Maupassant

-------------------------------------------------------------------------------------------------

"Dans une société où les femmes seraient toutes de vraies grandes dames, tous les hommes deviendraient des gentilshommes."

Maupassant

Correspondance

Le père Milon