HAUTOT PERE ET FILS
Veuf depuis des années, Hautot
Invita en sa ferme-château
Pour l’ouverture de la chasse.
Deux camarades de classe
Le percepteur Bersont,
Et Mondaru, le notaire.
Buvaient un verre
Avec le fils de la maison,
César,
En attendant le départ.
César, bon garçon,
Plein d’admiration
Pour son père, avait suivi l’école
Au lycée agricole
Pour une instruction suffisante
Mais pas trop valorisante
Afin qu’il ne tourne au monsieur
Éloigné de la terre, pardieu !
Bersont demanda : « Et le lièvre,
Y en a-t-il du lièvre ? »
-«Certes oui, dans les fonds
Et là-bas, sur ce vallon. »
Répondit Hautot, partant.
Les autres suivirent dans l’instant.
En chemin, les cœurs
Des chasseurs
Battaient un peu.
Les doigts nerveux
Tâtaient les gâchettes.
Hautot-père, en-tête
Du triumvirat,
Soudain tira.
Une perdrix s’écrasa.
Hautot s’élança
Et disparut dans le fourré
Où le gibier s’était terré.
Eclata un second coup de feu.
Le notaire hurla : « Bon dieu ! »
Hautot ne répondait pas.
César dit : « Allons aider papa.»
Le garde cria : « V’nez ! Vé !
Y a un malheur d’arrivé !»
Hautot venait de lâcher son fusil
Pour saisir le volatile
Qui avait chuté
A portée.
Malheureusement,
Ce second coup le touchait
Au ventre grièvement.
Tous vite approchaient
Et le virent sur le flanc
Déjà couvert de sang.
Hautot
Fut aussitôt
Porté dans son lit.
On attendit
Le médecin et le curé.
César fut tout éploré
Quand le docteur examina
Son père et qu’il affirma :
«Je fais des points de suture
Mais ça n’a pas bonne tournure.»
Épuisé, le père Hautot râla
«J’me suis éventré, voilà !
Fils, viens m’écouter.
Mets-toi de ce côté.
Ça fait sept ans
Qu’est morte ta maman.
J’me voyais pas
Rester veuf c’temps-là.
Comme tu sais,
L’homme n’est pas fait
Pour vivre seul. Alors, j’ai pris
Une petite, Fanchon Dauvry,
Elle a été pour moi
Gentille, dévouée, très chère,
Une vraie femme, quoi !
Tu saisis, mon gars?»
-«Oui, père.»
-«Alors, si j’m’en vas,
Faut lui donner du sérieux
Ça la mettra à l’abri, pardieu !
J’ai de l’argent.
Tu comprends?
Mais un testament, j’ai pas voulu.
Ça embrouille tout, vois-tu ? »
-«Oui, père»
-«Sans le souvenir de ta mère,
Je l’aurais épousée.
Et j’avais pensé
Que sur ma fin,
J’allais t’annoncer
Ces choses-là, enfin…
Va donc voir cette petite
Au 28 rue Legris. De suite,
Dès que j’serai parti.
Vas-y l’ jeudi.
Ce jour-là, elle m’attend.
Tu m’en fais serment ?
Tu verras,
Elle t’expliquera.
J’peux pas m’confier à toi
Davantage. Embrasse-moi.»
Hautot mourut dans l’heure,
Ayant subi d’atroces douleurs.
Le jeudi, César attela Gindro,
Et partit au grand trot
Vers Rouen, tout déconcerté
D’avoir à affronter
De son père enseveli, l’amie.
Mais il pensait : «J’ai promis.»
Au domicile de la petite Dauvry,
Il sonna. La porte s’ouvrit
Sur une jeune dame
Brune aux reflets de flammes,
Bien habillée, le teint frais.
-«Monsieur, vous désirez ?»
-«Je suis Hautot-fils»
Surprise, elle fit :
-«Monsieur César ?»
-«Oui, de la part
De papa, j’ai un aveu…»
-«Mon Dieu ! »
César vit alors un enfant
De quatre ou cinq ans
Jouant devant le fourneau,
Où un plat restait au chaud.
Trois couverts étaient disposés
Sur la table joliment dressée.
-«Asseyez-vous là, tiens,
Eh bien ?… »
-«J’peux pas vous conter…
Dimanche, hélas…
Mon père s’est tué à la chasse. »
La petite se mit à sangloter.
-«Nous arrangerons tous deux
L’affaire selon ses vœux.
Écoutez-bien.
Pour vous, il m’a laissé du bien.
Vous n’avez rien à craindre
Vous n’aurez pas à vous plaindre.»
-«Oh ! Monsieur César,
Mais pas aujourd’hui, j’ai le cœur qui part.
Un autre jour, une autre fois.
Et si j’accepte, c’est pas pour moi.
J’peux vous l’promettre.
Ce sera pour le p’tit. J’vais mettre
Les sous sur sa tête.»
Dit Fanchon d’une voix fluette.
Alors effaré, César devinant
-«C’est donc à lui, c’t enfant?»
Il regarda son frère avec émotion
Puis reprit la conversation.
-« Quand va-t-on en causer
Car vue l’heure, j’dois vous laisser.»
-« Oh ! Ne partez pas,
Ne me laissez pas.
Il est encore tôt.
J’ai plus qu’mon petiot.
Oh ! qué malheur. Qué misère !
Parlez-moi encore de votre père.»
Puis Fanchon balbutia :
-« Mon, pauv’ petit gars,
Te v’là orphelin présentement.»
-«Moi aussi», ajouta César tristement.
Puis se réveilla chez la jeune mère,
L’instinct de la ménagère :
-« M’sieur, vous n’avez sans doute
Rien pris…Et cette longue route…
Mangez donc avec nous deux.»
-«Merci, j’suis ben trop soucieux. »
Elle insista.
Il céda,
Prit une pleine assiettée
Des tripes qu’il entendait crépiter
Sur le fourneau
Et but deux verres de bordeaux.
-«Quand voulez-vous
Qu’on parle entre nous ?
-« Jeudi prochain ?»
-« Ça m’va, jeudi prochain. »
-«Vous déjeunerez, n’est-ce pas ?»
-« Ça, le promettre, j’peux pas. »
-«On cause mieux en mangeant.
…On a plus de temps. »
-« Eh bien, soit !,Jeudi à midi. »
César prit congé sitôt dit.
Il serra la main de la maman
Et embrassa l’enfant.
Huit
Jours, c’est long.
Et les nuits …
Elle lui avait plu Fanchon.
Il voulait faire les choses en grand :
Donner une rente de mille francs.
Puis l’idée de ce frère,
Le fils de son propre père,
Le tracassait
Et en même temps lui plaisait.
Le jeudi venu, il avait l’âme légère.
Longuement, ils déjeunèrent.
Fanchon ne voulait pas tant d’argent
Mais elle eut pour César
Des soins touchants.
Elle sortit du placard
La pipe du père et la lui remit.
A cinq heures, César se mit.
Debout : « Je vous souhaite le bonsoir,
Charmé d’avoir pu vous revoir.»
Fanchon restant face à lui, conclut :
-«On s’verra jamais plus ?»
-« Mais si. J’veux bien.»
-« Alors jeudi qui vient,
Ça vous irait ?
Vous déjeunerez,
N’est-ce pas ? »
-« Si vous voulez, j’refuse pas.»
-«Entendu, alors à jeudi. »
-« Parfait. A jeudi midi. »
signé Balthazar,
d'après Maupassant
-------------------------------------------------------------------------------------------------
"Dans une société où les femmes seraient toutes de vraies grandes dames, tous les hommes deviendraient des gentilshommes."
Maupassant
Correspondance
Le père Milon