Dans son pavillon confortable de banlieue, Jango, entouré de sa mère et de son fils Zizi, gamin farceur, mène une petite vie bien tranquille. À un détail près : Jango est tueur à gages. Une seringue, une piqûre dans la nuque, une cuve d’acide pour faire disparaître le corps et hop ! le tour est joué. Sa petite « entreprise » fonctionne plein pot, jusqu’à la disparition d’un certain colonel…
Si on connait bien Frédéric Dard pour les enquêtes du célèbre commissaire de police San Antonio, on ignore plus souvent qu’on doit à cet auteur pour le moins prolifique une vaste quantité d’autres romans aux intrigues indépendantes les unes des autres mais toutes aussi satisfaisantes sur le plan du pur plaisir de lecture – « un merveilleux auteur de la main gauche » aurait écrit, dit-on, Jean Cocteau (1889-1963), justement à propos de cet ouvrage précis…
Car l’écriture de Dard est tout sauf conventionnelle. Il n’a jamais « appris » mais toujours écrit, avec le cœur, comme ça lui venait, à l’instinct… Alors les mots se suivent sans se ressembler, sauf parfois dans leurs phonèmes : il y a chez Dard un franc-parler qui est aussi un « parler vrai » comme on dit, celui qui plaît tant à cette audience dite populaire et friande de ces romans dits de gare. La sophistication littéraire, il ne connaît pas ; le style ampoulé, il l’efface quand il le croise à la relecture. Tout chez Dard est direct, sans ambages ni enrobages mais juste brut de décoffrage.
Un peu comme Jango, d’ailleurs, le tueur à gages de ce récit qui n’y va pas par quatre chemins alors qu’il a bien les moyens de noyer le poisson au contraire des mafieux croisés d’habitude dans ce type de roman. D’ailleurs, il n’est même pas mafieux à vrai dire, à peine chef d’une entreprise un peu particulière. Sa spécialité ? Les règlements de compte familiaux. Résultats garantis, car en dépit de sa profession Jango est un honnête homme. La preuve : il a des remords pour son dernier « client », le colonel évoqué dans le synopsis ci-dessus – non de l’avoir tué mais de l’avoir séparé de sa légion d’honneur en faisant disparaître le corps du bonhomme…
C’est à partir de cette entrée en matière que Dard nous déroule un récit flirtant avec le fantastique à plus d’un titre. Mais un fantastique discret et pour le moins cocasse, qui entretient un rapport avantageux avec un certain absurde ; une sorte de vaudeville dont les circonvolutions dépassent vite le cadre du polar pur pour s’aventurer dans celui de la comédie noire. Alors ne cherchez pas ici un jeu du chat et de la souris entre un enquêteur et un coupable, ni même une tentative pour celui-ci de trouver une forme quelconque de rédemption – vous seriez déçu.
Au lieu de ça, prenez donc plutôt Le Tueur en pantoufles pour ce qu’il est : un récit mené de main de maître et tambour battant, certes, mais aussi avec un goût prononcé pour l’auto-parodie ; bref, un roman qui ne se prend pas au sérieux en s’évitant la peine d’explorer « les abysses ténébreux de l’âme humaine » pour au lieu de ça se concentrer sur ce qui compte vraiment, sans arrière-pensées obscures ou baratins.
Le Tueur en pantoufles, Frédéric Dard, 1951
Points, 2008
224 pages, env. 7 €, ISBN : 978-2-757-80759-0