Il régnait le 16 avril, à l’Institut du Monde arabe à Paris, lieu d’ordinaire compassé, un air de mai 68 , où l’Arabe se mêlait au Français, les Légions d’honneur des ambassadeurs aux foulards du Maghreb.
Au terme d’un colloque d’une journée entière, consacré au Printemps arabe et organisé par le Ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé a admis que la France avait eu tort de soutenir les despotes arabes au prétexte qu’ils étaient un rempart contre l’islamisme. Les despotes avaient en fait, encouragé la rage islamique, ce que j’ai écrit depuis une douzaine d’années. Citant entre autres réformateurs arabes, Rifaa el tahtawi, Juppé a conclu que les révolutions en cours étaient une étape dans la longue marche arabe vers la modernité. Et que la France ne craignait pas ces révolutions-là.
(Dessin de presse : René Le Honzec)
De nombreux intervenants venus de Tunisie, Libye, Maroc, Égypte, Jordanie, Syrie, Palestine n’avaient cessé tout au long de cette réunion, de témoigner de leur combat et de leur espérance en une démocratie libérale. Émouvant, souvent. Une « militante » palestinienne, particulièrment élégante, s’étonna que ce soit la police palestinienne qui l’interpelle lorsqu’elle défile dans les rues de Ramallah pour la démocratie. Elle veut un État, elle semble l’avoir obtenu, police inclus: que veut-elle de plus ? On n’a pas bien compris. Une députée marocaine nous assura qu’il fallait faire confiance à la volonté de réformes qui animerait le roi Mohamed VI : l’ambassadeur de France au Maroc, légitimiste ou plus royaliste que le Roi, acquiesca. On demande à voir.
La plupart des témoins et acteurs des révolutions égyptiennes et tunisiennes, ont opportunément rappelé que le Printenps arabe n’avait pas éclaté par hasard: depuis des années, intellectuels, avocats, syndicalistes, étudiants, luttaient contre les tyrans en Égypte ou en Tunisie : vrai et beaucoup l’ont payé de leur vie. Cette fois-ci, les démocrates ont réussi, une première étape du moins. Surtout, ils sont parvenus à persuader le monde que la démocratie étaient bien pour les Arabes, pour eux aussi, la « fin de l’histoire ». Exactement ce que George W. Bush avait déclaré en 2004, au moment de sa seconde investiture.
Cette coïncidence entre la France de Juppé et l’Amérique selon Bush, embarrassa suffisamment le politologue français Zaki Laïdi pour qu’il nous explique sans trop convaincre, que le soutien français à la révolution démocratique arabe n’avait rien, mais vraiment rien à voir avec les néo-conservateurs américains : « ceux-ci avaient essayé d’imposer la démocratie » tandis que nous Français, surtout à gauche, « nous soutenons les efforts endogénes des démocrates arabes ». Soit. Toujours selon Laïdi, les néo-conservateurs américains imposeraient des changements de régime (Irak, Afghanistan) mais pas les Français… sauf en Libye. Alain Juppé s’en justifia en rappelant que dans le cas libyen, un changement de régime était légitimé par le droit international puisque l’ONU (depuis une résolution de 2005) exigeait que les gouvernments protégent leur peuple tandis que Khadafi faisait l’inverse. Bon. Mais n’était-ce pas aussi le cas de Saddam Hussein ? Les historiens finiront-ils par reconnaître en George W. Bush un précurseur ? Allez savoir.
(Dessin de presse : René Le Honzec)
Seuls les « comités de transition » libyens venus en nombre de Benghazi m’ont semblé réciter un texte trop bien préparé : leur porte-parole, une femme portant foulard, guettait l’approbation d’un homme plus âgé qui la surveillait depuis la salle. Mais enfin, elle nous assura que sans l’OTAN, Benghazi aurait été rasé.
Plusieurs représentants des partis islamiques de Tunisie et d’Égypte (Nahda et Frères musulmans) ont protesté contre leur diabolisation et se sont engagés à respecter les régles de la démocratie laïque. Mohamed Ben Salem de retour en Tunisie après vingt ans d’exil en France a déclaré que son parti Nahda présenterait autant de femmes que d’hommes aux élections. « Nous vous étonnerons », a -t-il déclaré. Ce à quoi Juppé a répondu « Chiche ! » et a demandé aux ambassadeurs de France présents de dialoguer désormais avec tous, y compris les islamistes dans les pays arabes.
Une absence remarquée : l’Algérie. Il n’en fut pas question, elle n’était représentée ni par ses dirigeants ni par ses opposants. Le cadavre dans le placard. Regrettable omerta.
Invité à ce colloque, j’ai comparé la chute du Mur de Berlin avec la chute du Mur de la peur dans les dictatures arabes : en 1989, l’empire soviétique a disparu et en 2011, l’orientalisme est mort, cette idéologie qui enfermait les Arabes dans le cliché de la dépendance. Bouazizi aura été le Jan Palach arabe, sacrifice fondateur de mondes nouveaux.
À ceux qui dans la salle, s’inquiétérent d’un afflux d’immigrés provoqué par ces révolutions, l’islamologue François Burgat a fait valoir que la démocratie et le développement qu’elle devrait engendrer dans le monde arabe, pourraient à terme, conduire un flux de retour vers le sud de la Méditerranée. Bien vu. Et en tout cas, bien espéré.