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La séparation de la presse et de l’État

Publié le 18 avril 2011 par Copeau @Contrepoints

(Dessin de presse : René Le Honzec)

La séparation de la presse et de l’État

Le journalisme, peut être plus que n’importe quelle autre activité, nécessite une indépendance absolue vis-à-vis de l’État et le moins d’obstacles possibles pour y entrer.

Par Adam Allouba (*)

En novembre 2009, convaincue que la profession de journaliste était en péril, la ministre de la culture québécoise Christine St-Pierre a fait ce que les gouvernements préoccupés savent faire de mieux : elle a commandé une étude officielle.

En décembre 2010, le groupe de recherche a rendu public son rapport final avec 51 recommandations, les deux principales étant la promulgation d’une loi qui reconnaitrait les « journalistes professionnels » et un régime de subvention publique leur étant dédié. Malheureusement, la plupart de ces propositions risquent d’atteindre la liberté de la presse et d’affaiblir la qualité du journalisme au Québec.

Nous sommes des gens spéciaux

Le titre de « journaliste professionnel » ne serait réservé qu’à quelques privilégiés, bien que le rapport n’évoque pas de critères d’éligibilité spécifiques. Il explique que ce statut est important pour deux raisons. Premièrement, il accorde à ses détenteurs des privilèges juridiques et financiers qui les aideraient dans leur travail. Deuxièmement, il pourrait assister le peuple afin qu’il puisse distinguer ce qui fait la différence entre un « bon journaliste » et un « amateur ». L’idée que nous ayons besoin de l’État pour identifier les « vrais » journalistes est une insulte pour nous, mais le fait de leur donner un statut spécial est franchement dangereux pour de multiples raisons.

Égaux devant la loi

Le rapport suggère que la province autorise la création de tribunes de presse municipales – composées uniquement de « journalistes professionnels ». Les tribunes contrôlent normalement l’accès aux conférences de presse et pilotent les services de communication. La fonction de gatekeeping [NdT : procédé par lequel l’information est filtrée avant diffusion, que ce soit pour la publication, la radiodiffusion, la diffusion via Internet, ou tout autre type de communication] leur permet de nuire à la possibilité pour les citoyens de rapporter sur nos élus, en réfutant leur accréditation. Parfois ces dénégations sont teintées d’un fond idéologique ; mais si la tribune de presse est une entité privée, alors elle est en droit d’accepter qui elle veut. La restriction légale de l’accès aux tribunes de la presse municipale, néanmoins, serait un sérieux et certainement inconstitutionnel coup pour le journalisme citoyen. Accidentellement, le rapport ne stipule jamais pourquoi les journalistes ont besoin d’une permission d’État pour créer une tribune de presse au lieu de les créer par eux-mêmes.

Un autre avantage serait d’empêcher les journalistes professionnels d’être contraint de révéler le nom de leur source. Imposer une telle règle, si vous êtes un dénonciateur avec une information d’intérêt public, la donneriez vous à un blogueur local ou appelleriez vous un grand journal ? Souvenez-vous que seul l’un des deux peut garantir votre anonymat. En encourageant les gens à échanger seulement avec les journalistes professionnels, la compétition se réduira et seuls certains médias s’enracineront.

Le rapport note que des lois similaires existent en Belgique et en Italie, ce qui est intéressant, mais ne prouvent en aucune manière l’intérêt de ces mesures ! En effet, le document évoque souvent que ces arrêtés sont entré en vigueur autre part sans essayer de montrer si ces expériences furent positives.

Les journalistes professionnels auront d’autres avantages. Un journal poursuivi pour diffamation sera exempté de poster une caution pour le coût du procès – si le travail d’un journaliste professionnel était remis en cause. Les journalistes pourraient représenter leur employeur devant la commission de l’accès à l’information (à ce jour, les personnes morales doivent être remplacées par un avocat). Leur accès aux requêtes d’information ira au sommet des priorités, puisque leur travail sera pour « l’intérêt général et non leur propre intérêt ». Et ainsi
de suite.

Maintenant, à moins qu’un journaliste travaille anonymement gratis, il est difficile d’accepter l’idée qu’il est en train de travailler uniquement pour l’intérêt général. Dans tous les cas, l’idée sous-jacente est claire : seul les « vrais » journalistes accomplissent le travail du journaliste. Les bloggeurs, contributeurs volontaires (tel que notre humble auteur) et autres journalistes citoyens sont juste une équipe hétéroclite de profane. Au mieux, leur travail est digne de l’amateurisme ; au pire, la négligence dont ils font preuve menace le discours global. Ce présupposé est du pain béni pour l’élite et sa condescendance contre une presse libre et dynamique.

Alors que certaines suggestions, comme la protection des sources, ne sont pas mauvaises, elles devraient s’appliquer au journalisme – non aux journalistes. Par exemple, quelqu’un qui reçoit une information selon laquelle un appel d’offres a été truqué devrait être en mesure de dire au monde, sans risque d’emprisonnement, qu’il refuse de révéler sa source. Protégez l’activité et vous protégez le journalisme. Protégez une classe de personnes et vous protégez les journalistes de la compétition.

La séparation de la presse et de l’État

(Dessin de presse : René Le Honzec)

Montrez-moi le fric !

Les privilèges légaux d’un journaliste professionnel sont bien pâles, néanmoins, en comparaison avec les bénéfices financiers. Le rapport demande une aide significative pour le journalisme (subventions) – ou plutôt, pour les journalistes professionnels et leurs employeurs. Ceci donnera aux journalistes professionnels encore un autre avantage indu sur leurs concurrents. Mais le danger réel est aussi le plus évident, ce que le rapport lui-même tant à reconnaitre : le financement des médias par l’État implique un contrôle de l’État sur les médias.

Pour prévenir cette critique, les auteurs proposent de canaliser les fonds par des organismes indépendants tels que le Conseil de Presse du Québec ou les conseils composés de journalistes professionnels. Ceci est une pauvre solution. Premièrement, l’État peut toujours manipuler la masse des subventions pour influencer les écrits. Même la simple menace de coupures peut suffire pour « donner un coup de fouet aux journalistes ». De plus, les membres d’une telle institution devront être choisis au hasard et devront rendre des comptes à ceux qui les ont élus. Des amis de la radiodiffusion publique savent que la participation directe du gouvernement est une mauvaise idée. Inversement, s’ils sont choisis par un autre groupe – c’est-à-dire leurs pairs journalistes – alors ils répondront à ces électeurs seuls et n’auront pas de compte à rendre aux personnes foulants le projet de loi au pied. Si les subventions ne peuvent permettre d’atteindre les résultats escomptés, il n’y aura pas de mécanisme correctif. Le premier scénario est un affront à la liberté, le second un affront aux contribuables – et au journalisme, étant donné l’absence de toute incitation pour veiller à ce que l’argent soit dépensé à bon escient.

Alors que le rapport rappel le soutien de l’État à la presse en France, en Suède, en Belgique et aux États-Unis – ainsi que l’existence de programmes au Canada et au Québec – il ne tente pas de démontrer que ces initiatives améliorent la qualité du journalisme. Peut être que l’auteur croit que que les subventions publiques sont la garantie d’un travail bien fait. Malheureusement, l’expérience prouve l’inverse.

Le rapport suggère aussi une variété de subventions indirectes pour le journalisme professionnel : essayant d’égaler un programme français qui permet à quiconque ayant entre 18 et 25 ans d’avoir son propre journal à la semaine ; s’organisant pour que les écoles reçoivent les abonnements aux journaux sans frais ; des bourses pour des stages de journalisme public dans les zones isolées ; des crédits d’impôt pour les médias indépendants qui embauchent des journalistes professionnels ; le droit pour un journaliste professionnel dont l’employeur modifie sa ligne éditoriale de cesser son activité et de recevoir 52 semaines de salaire si ce changement nuit à « son honneur, sa réputation et ses intérêts moraux ».

Cette liste est longue et va de la transparence (devinez qui paie pour les journaux gratuits ?) à l’odieux (pourquoi les journalistes seuls méritent le libre accès aux dossiers de la cour ?) Acheter des journaux pour tous les étudiants désireux et jeunes adultes est autant une source de problèmes qu’une subvention directe. Après tout, qui décide quels journaux obtiennent leur libre circulation ? Si un crédit d’impôt peut améliorer les bilans d’entreprise, il ne peut encourager l’embauche de la même façon que les crédits d’impôt semblent souvent récompenser des gens pour ce qu’ils étaient déjà en train de faire. Il en est de même pour le droit de se faire payer après avoir quitté un différend éditorial, ce que la loi française reconnait depuis 1936. A-t-elle renforcé la profession ? Les auteurs ne sentent pas le besoin de nous le dire.

Et il y a pire…

Les recommandations douteuses allées au-delà du statut et de l’argent. Déplorant la qualité des français dans les média, le rapport suggère de rendre obligatoire la formation linguistique dans les écoles de journalismes et des cours de langues annuels pour maintenir le statut de journaliste professionnel. Ayant juste insulté tous les journalistes francophones de la province – et leurs employeurs, qui sont apparemment non qualifiés pour évaluer les compétences linguistiques de leurs employés – les auteurs se dirigent à présent vers l’irréalité, affirmant que « la maîtrise de la langue française est une qualité indissociable pour le journalisme professionnel ». Ceci serait une nouvelle pour le Montreal Gazette, le Montreal Mirror, le Sherbrooke Record, la CBC, CTV, Global, CHOM, CJAD, et tous les autres médias en langue anglaise présents au Québec.

Une autre exigence pour le statut de journaliste professionnel serait d’obtenir des crédits annuels de formation continue. Beaucoup de professions ont des conditions similaires, mais en droit, en comptabilité, en médecine ou plus généralement, les objections sont souvent les mêmes : vous pouvez mandater votre assiduité mais pas l’apprentissage, et les prix créent encore de nouvelles barrières pour l’entrée dans la profession. Les individus voulant rester au courant le feront de toute façon, tandis que ceux qui ne peuvent être mis dans une salle de classe physiquement, ne le seront pas mentalement. Et compte tenu de l’impérieuse nécessité d’accumuler un certain nombre d’heures pour maintenir l’accréditation, les cours sont susceptibles d’attirer des praticiens en fonction du coût par crédit plutôt que pour leur utilité réelle. En ligne ou par des cours en auto-apprentissage l’on peut alléger le fardeau financier, en particulier pour ceux dans les zones rurales, mais avec peu de questionnaires administrés, il est impossible de savoir si oui ou non la personne est actuellement assied devant son ordinateur ou lit un livre.

Accessoirement, la principale auteur du rapport, Dominique Payette, dirige le programme de journalisme de troisième cycle à l’Université Laval. Le professeur Payette est sans doute sincère en pensant que chaque journaliste au Québec devrait bénéficier d’une tutelle comme la sienne (et celle de ses collègues), mais c’est par une heureuse coïncidence que le renforcement du journalisme rime aussi avec la fortification du bilan de son institution, puisqu’il offre une gamme de formation continue.

Tout n’est pas mauvais…

Par souci d’équité, le rapport inclut quelques propositions excellentes, comme l’obligation de publier en ligne le plus possible de documents gouvernementaux, exiger que les municipalités communiquent l’agenda de chaque réunion de conseil 48 heures à l’avance et forcer les conseils municipaux d’autoriser l’enregistrement et la publication de leurs rencontres. Malencontreusement, il s’agit d’exceptions à la règle – la vérité générale du rapport reste : « Donnez nous de l’argent et des privilèges ».

Le journalisme, peut être plus que n’importe quelle autre activité, nécessite une indépendance absolue vis-à-vis de l’État et le moins d’obstacles possibles pour y entrer. Dans les faits, si la concentration de la propriété des médias est vraiment aussi inquiétante que le professeur Payette semble affirmer qu’elle est, la pire chose que nous pourrions faire est de rendre plus difficile l’accès à la profession aux futurs journalistes. Pour le gouvernement, coopter la profession et créer une caste protégée des journalistes est odieux, surtout au sein d’une société libre. Les auteurs du rapport ne sont pas aveugles aux risques que comportent leurs allégations, mais les rejettent trop facilement. Encore plus déprimant est leur empressement pour imiter les politiques adoptées ailleurs, en contraste avec leur total manque de curiosité quant aux données empiriques que ces expériences ont produit. Avant de singer les modèles français, belges, suédois ou je ne sais quels autres, ne devrions nous pas considérer les résultats de leurs actions ?

Leur ardeur à réguler et subventionner suggère que les auteurs croient vraiment que l’intention égale le résultat. Si la loi promet certains bénéfices ou interdits quelques dangers, c’est tout le réconfort dont nous avons besoin, à savoir que les risques soient faibles et les récompenses nombreuses. En réalité, il existe peu de preuves qu’il en soit ainsi. Même si les auteurs veulent le bien, la route vers l’enfer reste pavée de bonnes intentions. Le quatrième pouvoir – la surveillance du public – devrait être gardé séparer des coulisses du pouvoir aussi loin que possible.

Article paru dans Le Québécois Libre n° 287 du 15 mars 2011, reproduit avec la permission de l’auteur.

(*) Adam Allouba est avocat d’affaires à Montréal, diplômé en droit et sciences politiques à l’Université McGill.


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