En observant la scène politique préélectorale en RDC et l’agitation manifeste de la « communauté internationale » entourant l’échéance électorale, on peut penser que l’après élection sera encore beaucoup plus déterminant que le scrutin lui-même, tant les questions socioéconomiques semblent reléguées loin derrière les enchères purement politiciennes.
Et pourtant, ce ne sont pas les arguments qui manquent, tant du côté de l’équipe sortante tenue par le tandem Kabila-Mozito que dans celui de l’opposition, qui cherche à se cristalliser autour de la figure emblématique de Tshisekedi.
Par exemple, l’équipe sortante pourrait soutenir qu’au chapitre économique, elle a réussi là où tous les gouvernements précédents ont échoué : la stabilisation du cadre macroéconomique. Un exploit qui a remis le Congo sur le chemin de la croissance. En effet, entre 2004 et 2008, l’économie congolaise aurait enregistré un taux de croissance du PIB réel de l’ordre de 5,7% en moyenne, une performance remarquable si on compare ce chiffre aux taux négatifs et à l’état piteux de l’économie durant les décennies précédentes. De plus, après un repli de 3,9% en 2009, les projectionnistes du FMI entrevoient une poussée de la production réelle de 6,1 – 6,9% pour 2010 – 2011, et même de 10,6 – 8,7% si l’on inclut la rente pétrolière. Avec un taux d’inflation révisé à 9,8% en 2010, il faut remonter bien loin dans le temps pour retrouver pareille prouesse.
En revanche, l’opposition pourrait objecter qu’il ne s’agit là que d’une série de « bons » chiffres au contenu quasi nul : une performance économique se mesure à l’aune de l’amélioration des conditions de vie des populations. Entre 2004 et 2008, l’accroissement moyen du revenu réel par habitant n’a été que de 1,4%, un chiffre qui est loin de soustraire les 3/4 des congolais de la sous-alimentation, de la sous-scolarisation et de la sous-médication. De plus, au chapitre de la gouvernance économique, contrairement au satisfecit affiché par les experts du FMI, le classement 2011 de Heritage Fondation et du Wall Street Journal place la RDC à la 174ème position sur 179 pays avec un score de 40.7 à l’indice de liberté économique, qui englobe la gestion des dépenses publiques, la facilité d’entreprendre ou la flexibilité du marché du travail.
Mais dans un pays où les gens élisent leurs représentants non pas sur base d’un projet de société et encore moins de l’idéologie économique (libérale ou social-démocrate) du parti, il n’en demeure pas moins que les enjeux liés aux choix économiques et institutionnels postélectoraux couvent des risques élevés que seule une élite probe et nantie d’un sens profond de l’État peut arriver à évaluer afin de mieux préparer les conditions de décollage économique.
Au plan macroéconomique, il sera impératif, à court terme, d’opter pour une politique visant à préserver le juste équilibre entre, d’une part, la nécessité de soutenir et d’étirer dans le temps le rythme de croissance appréhendé et, d’autre part, celle de restaurer l’équilibre budgétaire qui, probablement, aurait été fragilisé par le relâchement de la politique monétaire à des fins purement pré- et post électoralistes comme on l’a observé lors des élections de 2006. En plus de cette menace, la hausse historique des cours mondiaux des produits alimentaires de consommation courante et ceux des produits énergétiques ouvre une brèche d’où pourrait se profiler une hyperinflation aux effets dévastateurs, au risque d’effacer les gains de stabilisation des équilibres intérieurs et extérieurs obtenus au prix d’énormes sacrifices.
À court terme, la stabilisation du cadre budgétaire et financier est sans doute un des facteurs facilitateurs de la croissance, mais face à l’amplitude de la paupérisation de la population congolaise, il faut réunir et raviver les conditions d’une croissance soutenue à long terme. Or une telle croissance n’est possible que grâce aux effets combinés de l’investissement et de la productivité du travail dans les petites et moyennes entreprises manufacturières et agricoles, aptes à donner un emploi rémunéré à des millions des chômeurs urbains et de garantir aux paysans des revenus réguliers.
Au Congo, ces unités productives ont été, comme dans un tsunami, rasées du paysage économique dans les années 70 suite aux mesures de « zaïrianisation-radicalisation » initiées par Mobutu. Confrontés à l’insécurité et à l’absence de confiance, les « entrepreneurs » locaux et étrangers orienteront désormais leurs ressources plutôt vers les activités spéculatives (extraction et commerce des minerais) que productives. Le processus de désindustrialisation du pays et la chute du taux d’accumulation trouvent leur origine dans cette bévue.
La restauration du cadre institutionnel, c’est-à-dire les règles et normes sociales formelles et informelles censées assurer la confiance, la coordination dans les mécanismes d’allocation des ressources, de production et d’échange entre les acteurs économiques devrait inverser cette tendance. Elle devrait également inciter le gouvernement à investir dans l’infrastructure, la santé et l’éducation les revenus tirés de l’exploitation et de l’exportation des ressources énergétiques et minières ainsi que les économies réalisées dans le cadre de l’I-PPTE.
L’enjeu est donc double : économique et institutionnel. L’amélioration des conditions de vie des Congolais passe par une croissance soutenue minimale de 7%, susceptible de venir à bout d’une pression démographique annuelle de 3%; mais aussi par des institutions pro-développement pour vaincre la dynamique corruption-prédation qui empêche les mécanismes de création de richesses et de redistribution d’agir équitablement.
Article paru originellement sur UnMondeLibre.org.