Sceptique quant à l'intervention militaire en Libye, la diplomatie polonaise a préféré dépêcher dans la région Lech Walesa, ancien opposant anticommuniste et fondateur du syndicat Solidarnosc, pour qu’il transmette aux révolutionnaires son expérience d'une sortie pacifique de la dictature.
La Pologne a été choisie parmi les 21 pays et organisations internationales constituant le groupe de contact sur la Libye [chargé du pilotage politique de l'intervention internationale dans ce pays] pour coordonner la politique envers la Libye. Elle est aussi le seul représentant de notre région.
“La Pologne dispose d'une expérience unique en matière de transition démocratique. Il est utile de savoir ce qu'il adviendra en Tunisie après la ‘révolution du jasmin’”, affirme un diplomate de haut rang.
Autres atouts : la Pologne n’a ni passé colonial ni intérêts économiques particuliers dans la région et, de toute façon, elle aura à traiter le problème des pays arabes car elle doit prendre le 1er juin la présidence tourante de l'Union européenne.
Quand, le 17 mars, une délégation de diplomates polonais s'est rendue en Tunisie, c’était le début de la révolution. Le 28 avril, ce sera au tour de la mission des “pères fondateurs de la démocratie [polonaise]”, avec Lech Walesa à sa tête. “On prévoit des discussions avec des universitaires et d'autres représentants des élites, mais aussi des rencontres ouvertes aux jeunes”, explique le vice-ministre des Affaires étrangères Krzysztof Stanowski.
Walesa a déclaré à Gdansk [lieu de création du syndicat Solidarnosc], qu’il allait se rendre en Tunisie en tant que “révolutionnaire d'expérience”. Il sera accompagné de politiques, d'économistes et d’experts, parmi lesquels l’ancien président Aleksander Kwasniewski et l’ex-Premier ministre Wlodzimierz Cimoszewicz, tous deux anciens communistes.
La Pologne prépare un programme exportable, destiné à former les journalistes des médias indépendants et les futurs cadres de l'administration. Elle prévoit aussi un cours de préparation aux “situations de conflit”, pour les hauts fonctionnaires. En Afrique du Nord, la Pologne entend employer les mêmes méthodes de soutien à la démocratie qu'en Biélorussie.
“Quand on demandait aux Tunisiens dans des forums internationaux quelles formes de transition les intéressaient, ils mentionnaient la Table ronde polonaise [en 1989, au terme de deux mois de discussion, le pouvoir communiste et les leaders de l’opposition du syndicat Solidarnosc aboutirent à la signature d’un accord qui allait amorcer la chute du régime communiste]”, explique-t-on au ministère des Affaires étrangères.
“C'est une excellente idée d'envoyer Lech Walesa en Tunisie”, observe le politologue Aleksander Smolar, directeur de la fondation Batory, “car je doute que la Pologne puisse aider la Tunisie économiquement ou juridiquement, mais nous pouvons aider les Tunisiens à surmonter le passé, à bâtir un système politique ou à créer des ONG. Nous n’avons pas de leçons à donner, il s'agit de dialoguer. Nous ne voulons pas leur imposer nos solutions, il faut qu’ils trouvent les leurs en profitant de notre expérience. Ce genre de contacts est bienvenu dans la région, surtout que la Pologne n'a pas d’héritage colonialiste. Nous ne risquons pas de provoquer des réactions épidermiques comme d’autres pays européens.”