A 90 ans, l'écrivaine Tereska Torrès a retraduit en français un livre qu'elle avait écrit soixante ans auparavant… en français. Une bizarrerie littéraire doublée d'une belle histoire que le correspondant de The Independent à Paris nous raconte en détail.
En 1950, son livre, qui s’inspirait vaguement de sa vie à Londres pendant la guerre, a été traduit en anglais sous le titreWomen’s Barracks (Caserne pour femmes).C’est devenu un classique de la littérature de gare, qui a fait l’objet d’un procès pour obscénité, accusé de favoriser le relâchement des mœurs. Il s’en est vendu 4 millions d’exemplaires rien qu’aux Etats-Unis. Aujourd’hui, plus de soixante ans après, Tereska Torrès, âgée de 90 ans, vient de le retraduire elle-même en français. Le résultat,Jeunes Femmes en uniforme,est paruchez Phébuset a été salué par la critique. Il y a quatre ans, j’avais interviewé Tereska alors qu’elle envisageait de réécrireWomen’s Barrackssur la suggestion d’un éditeur français. Le manuscrit original en français s’était en effet perdu.
Tereska, connue en France en tant qu’auteure de douze autres ouvrages sérieux, a toujours nourri une certaine détestation pour son plus grand succès commercial. “Je vais sur Internet et j’apprends que je suis la reine littéraire des lesbiennes, la personne qui a écrit le premier roman érotique lesbien à succès. Je déteste ça. Je le déteste”, m’avait-elle confié à l’époque. “Quand on litWomen’s Barracks,on y trouve cinq personnages principaux. Un et demi seulement peuvent être considérés comme lesbiens.” Le livre original n’a assurément rien d’obscène, et il n’est même pas particulièrement croustillant. Pour moi,Women’s Barracksétait l’histoire plutôt touchante de jeunes gens désespérément en quête d’amour sous les bombes, ai-je fait valoir à son auteure. Pourquoi ne pas le publier en français ? Tereska a alors accepté de le retraduire – même si elle est revenue sur sa décision quelque temps plus tard. Nous sommes devenus amis. De temps à autre, je passais la voir et nous prenions le thé en mangeant des petits gâteaux. Et je vantais chaque fois les vertus de son livre prétendument torride. Il y a deux ans, elle a à nouveau changé d’avis et commencé à retravailler surJeunes Femmes en uniforme.
Sur la page de garde de l’exemplaire qu’elle m’a fait parvenir il y a peu, elle a écrit généreusement : “Jamais je n’aurais écrit ce livre sans vous.” Tereska ne s'est pas contentée de traduire le livre… Les rares “passages coquins” sont fort heureusement toujours là, mais elle donne en outre beaucoup plus d'éléments sur l’euphorie, la terreur et le courage qui régnaient à Londres pendant la guerre. Elle a développé les personnages et approfondi son histoire. Finalement, je dois le reconnaître, c’est un bien meilleur livre.
On trouve aussi dansJeunes Femmes en uniformele premier récit détaillé de la liaison qu'eurent l'une des amies de Tereska – baptisée “Josette” dans le livre – et l’acteur britannique Leslie Howard. Pendant les mois qui précédèrent sa mort tragique, en 1943, à bord d'un avion abattu en vol, il vécut avec “Josette” et son fils illégitime dans son manoir du Surrey. La star d’Autant en emporte le vent[il joue le rôle d’Ashley Wilkes] avait 50 ans, la jeune Française presque trente de moins. A en croire Tereska, leur histoire était une idylle où le sexe était secondaire. Quoi qu’il en soit, la nouvelle version du livre de Tereska est excellente et si différente de l'ancienne qu’il serait dommage que quelqu’un ne la retraduise pas en anglais.
Source : http://www.courrierinternational.com/article/2011/04/15/amours-feminines-sous-les-bombes