Donnant la parole à une poignée de bénéficiaires, mais aussi d'oubliés.
Originaires de vingt-trois pays d'Afrique et d'Asie, ils ont été de tous les conflits dans lesquels la France a été engagée au XXe siècle : 14-18, 39-45, Indochine, Algérie... Sur 1 million de combattants, un sur dix est "tombé pour la France".
Si, comme le rappelle un septuagénaire venu chercher son dû, "lorsque la balle arrive, elle ne fait pas de distinction entre les Noirs et les Blancs", les indigènes de la République ne bénéficiaient plus de l'équité de traitement depuis la loi dite de "cristallisation" de 1959.
Aux Français, des pensions, certes peu glorieuses, mais indexées sur le coût de la vie. Aux appelés du contingent des anciennes colonies de l'empire ayant effectué au moins quatre-vingt-dix jours sous les drapeaux, des pensions gelées et fixées, selon le pays d'origine, de 3 à 30 % du montant de celles de leurs homologues français.
En 2006, après avoir assisté à une projection privée d'Indigènes, le film de Rachid Bouchareb, avec Jamel Debbouze, Samy Naceri, Roschdy Zem et Sami Bouajila, le président Chirac ne cache ni son émotion ni sa détermination à "accélérer et annoncer un certain nombre de mesures d'égalité". Il était temps.
Sanctionnée par un arrêt du Conseil d'Etat en 2001 à la suite de la plainte déposée par M. Diop, un ancien gendarme sénégalais, condamnée par le Comité des droits de l'homme des Nations unies pour "violation du principe d'égalité devant la loi", la France se devait bien, un jour ou l'autre, d'agir. Peut-être moins d'ailleurs par souci de gratitude que par crainte de devoir indemniser, à titre rétroactif, les quelque 80 000 anciens combattants de plus de 65 ans encore concernés.
Un fort sentiment d'ingratitude et d'injustice
Cette "décristallisation" attendue depuis plus de quarante ans n'a cependant pas suscité un enthousiasme délirant au Sénégal, où Frédéric Chignac est allé mener l'enquête. Porté à 170 000 francs CFA (environ 265 euros) par semestre, le nouveau montant des pensions n'ouvre pas la voie à de grands rêves. Pas question de "faire construire dans le village", tout juste de quoi rembourser quelques dettes, d'acheter des produits de première nécessité comme le riz, le savon ou le café.
"En rentrant, tout sera dépensé", confie l'un des bénéficiaires. Si la revalorisation concerne également les pensions des invalides de guerre ou de leurs ayants droit, bien plus élevées, les retraites des militaires de carrière ne sont, elles, pas concernées.
Fier de sa croix de la Valeur militaire et de sa médaille de la Reconnaissance française, Damé M'Bow, engagé entre 1949 et 1964, est amer : "Mon sentiment, c'est que la France est une nation ingrate, une mère qui a oublié ses enfants. On nous parlait de la mère patrie, de liberté, d'égalité, de fraternité. On nous disait que, dans la République, il n'y avait pas de races, pas de religions, ni de conditions sociales. Que les hommes étaient égaux. On a fait des efforts pour mériter d'être des soldats mais, après la guerre, on nous a oubliés."
S'il a, avec trente de ses anciens frères d'armes, fini par obtenir que sa retraite soit multipliée par neuf, ce n'est pas à l'émotion suscitée par un film de cinéma ou une prise de conscience tardive du gouvernement français qu'il le doit : c'est en saisissant la justice.
A la Maison des anciens combattants où il passe le plus clair de son temps, l'ancien militaire de 75 ans assure avoir engrangé six cents nouvelles plaintes. En 2007, 110 millions d'euros auront été mis sur la table pour réparer une terrible injustice. Une goutte d'eau au regard de ce qu'il aurait fallu rendre à ces hommes...
Christine Guillemeau
Source(s) : Le Mag France 5
Réalisation : Frédéric Chignac
Date(s) : 15/04/11 - France 5 - 23h50
Info+ : (re)voir le documentaire
Ça s'est parlé : La loi de cristallisation vole en éclat