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Liberté, égalité, laïcité

Publié le 17 avril 2011 par Allo C'Est Fini
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André Malraux aurait mieux fait de se taire. Son   »… XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas » n’en finit pas de nous polluer l’existence, des attentats du 11 septembre aux déclarations de Guéant, et jusqu’au débat sur la laïcité. Dernières victimes de cette confrontation entre les extrêmes de tous bords, les étudiants des grandes écoles de confession juive, qui vont devoir choisir, cette année, entre les jours de fête de Pessah et les épreuves écrites de deux grands concours, Mines-Ponts et Centrale-Supélec.

Liberté, égalité, laïcité

Juif plutôt conservateur, étant passé par le circuit des grandes écoles, j’ai mon petit point de vue sur ce sujet, et je me suis dit qu’il pourrait intéresser un ou deux de ces élèves, quelques jours avant de prendre une décision qui risquera de lui peser sur la conscience.

Il faut dire que c’était plus facile il y a deux ou trois siècles. Nos ancêtres, ashkénazes ou séfarades, vivaient dans des ghettos plutôt lugubres, et les seules études qu’ils auxquelles leurs enfants se consacraient, c’était l’étude des textes sacrés – Bible, Talmud. Ni examens, ni concours, assez peu de problèmes d’intégration, somme toute, à un ou deux pogromes près. Mais voilà, quelques visionnaires, comme un certain Mendelssohn, ont décidé de se mêler de ce qui ne les regardait pas, et de pousser leurs coreligionnaires à profiter des « lumières ». Résultat: une proportion incroyable de scientifiques juifs (ou d’ascendances juifs), dont certain ont laissé des traces jusqu’à aujourd’hui (d’Einstein à Mechnikov).

Cette appétence pour les études en général, et les sciences, on la retrouve partout, dans les bons résultats des « écoles juives » privées, et bien entendu, jusque dans les grandes écoles de la république. Alors que la communauté juive de France ne représente qu’environ 1% de la population totale, on peut compter plus de 5% de juifs au sein d’une même promotion de l’Ecole Polytechnique, par exemple. Tous ne sont pas orthodoxes, bien entendu. Mais certains, comme moi, ont tenu à continuer à pratiquer, avant, pendant et après leurs études, alors que cela n’est pas toujours facile, entre les cours et les examens le shabbat ou les jours de fête.

Pour ma part, j’ai fait un choix simple: passer deux ans dans une prépa scientifique de haut niveau (Louis Le Grand, en l’occurrence), cela demande des sacrifices. Pourquoi en plus de ces sacrifices, devrais-je souffrir d’un désavantage quelconque face aux autres étudiants? Je suis donc allé en cours le shabbat. En sup, je n’avais pas le choix: c’était le jour des compositions de physique. En spé, c’était plus simple, je venais écouter sans rien écrire. Mon voisin, Nicolas Deschamps, me passait ses notes à l’issue du cours et je les lui rendais lundi matin (dieu merci, nous nous sommes retrouvés à l’X tous les deux et aucun des deux n’a finalement pâti de ce système). Je n’ai pas eu à passer d’écrit un jour de fête, mais j’ai passé un oral, celui de physique, un shabbat après-midi.

Bien entendu, c’était un choix personnel. D’autres ont choisi de ne pas aller en cours le samedi, cela était encore possible, en cette époque de laïcité tolérante. On pouvait même s’arranger ne pas passer certaines épreuves le samedi mais le dimanche suivant, en s’y prenant à l’avance. Cela demandait des démarches, il fallait s’y prendre à l’avance, mais au final, on trouvait un arrangement. Cela arrivait rarement, cependant, car comme pour le bac, les épreuves écrites avaient tendance à ne pas tomber aux dates difficiles.

Mais voilà, cette année, les dates des fêtes ont beau avoir été transmises, elles n’ont pas été prises en compte. Que faire? Changer les dates des examens? Il est un peu tard pour cela. Faire passer les élèves en différé? Difficile, car c’est le premier jour d’écrit qui tombe un jour de fête, et il faudrait donc attendre le dimanche suivant, soit 4 ou 5 jours après, pour passer l’épreuve en question: impossible de respecter l’étanchéité nécessaire pour une épreuve en différé.

Alors que faire? J’imagine le stress et le désespoir des élèves concernés. Pris entre leur éducation juive, le respect des traditions, le sentiment de transgresser un interdit religieux majeur, et celui de mettre en l’air deux ou trois années de leur vie, pire, de compromettre leur destin d’ingénieur pour un ou deux malheureux jours. Choix Cornélien. Ajoutez à cela la pression du débat sur la laïcité, qui braque les camps sur leurs positions, et l’amertume de certains représentants de la communauté musulmane de France, qui considéreraient que toute solution négociée serait le signe d’une laïcité à deux vitesses…

Il n’y a pas de solution pour un tel dilemme. Chacun doit agir selon sa conscience. Mais on peut donner des grilles de lecture différentes, permettre à chacun d’analyser la situation selon des critères… plus souples. Je formulerai donc deux remarques.

La première: nous sommes en France, qui n’est pas un pays à majorité religieuse juive, loin de là. La possibilité de concilier la pratique du judaïsme avec sa vie de citoyen est un droit. Mais la République n’a en aucun cas de devoir concernant telle ou telle pratique religieuse. En intégrant le circuit des grandes écoles, tout élève juif pratiquant doit se dire qu’à un moment donné, un tel choix peut se présenter. Et que ce sera à lui de s’adapter. Si la pratique doit l’emporter sur les études, alors il existe un état où la pratique du judaïsme ne pose (a priori) pas de problème. Cet état, construit sur le principe d’un « état des juifs » selon le titre du livre de Théodore Herzl (et non pas « d’état juif » comme on le lit parfois), c’est Israël, et voilà ne serait-ce qu’une raison, s’il en fallait, pour s’y installer.

La seconde va sans doute choquer quelques uns, mais je suis surpris de ne l’avoir lu nulle part. Elle concerne le 2e jour de fête. Pessah, la pâque juive, est une fête qui dure 7 jours en Israel, et 8 jours en dehors d’Israel. En Israel, seuls le premier et le dernier jour sont chômés; en dehors d’Israel, les deux premiers et les deux derniers le sont. Pourquoi? Cela remonte à l’époque où il fallait transmettre les dates des fêtes de Jérusalem aux communautés qui se trouvaient éloignées (typiquement Babylonie): le délai mis par le messager induisait une incertitude sur le calendrier, et l’on préférait doubler les jours chômés pour ne pas prendre le risque de transgresser un interdit. De nos jours, alors qu’on guide sa voiture par un GPS, qu’on marche sur la Lune et qu’on peut étudier le Talmud sur un iPad, aucune autorité religieuse digne de ce nom n’a envisagé de faire sauter ce 2e jour de fête chômé. Or les concours de Centrale-Supélec et Mines-Ponts n’entrent en conflit que le 2e jour de fête… En clair, un étudiant israélien qui passerait les mêmes concours n’aurait pas le même problème. A chacun de prendre sa responsabilité, certes, mais mettre en l’ai deux ou trois années de prépa pour un 2e jour de fête qui est devenu superflu, avouez que c’est rageant.

Cornélien? Pas si sûr.

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