Je termine ce livre reçu il y a deux jours à peine et dont la lecture a court-circuité immédiatement toutes les autres programmées bien avant. Dès les premières lignes, impossible de le lâcher. Il m’a emportée dans une autre civilisation, celle de la Mauritanie coloniale puis indépendante des années cinquante à nos jours.
L’héroïne, Mariem, (le visage de la couverture du livre) est aussi la narratrice qui s’adresse à l’auteur.
«Pour moi, tout a commencé par le fait extraordinaire que mes parents n’étaient pas de la même tribu. Et ça, c’est extraordinaire, tu le sais bien.C’était extraordinaire, surtout à l’époque. Mon père était Nmadi, tribu de chasseurs. Les Nmadi nomadisaient dans l’est de la Mauritanie et coursaient les antilopes à pied, avec des lévriers. Ma mère était Ladem, tribu de pasteurs. Les Ladem étaient des porteurs de fusils. C’est incroyable qu’ils aient donné une fille à des Nmadi. Des guerriers donner une femme à un chasseur!»
J'ai été tout de suite très intéressée par la vie étonnante de cette femme qui se libère peu à peu de tous les carcans de son éducation par la révolte, l'amour mais aussi l'évolution historique et politique de son pays.
Comme toutes les petites filles, elle souffre la torture du gavage par sa mère. C’était un signe d’opulence et de noblesse dans les familles qui se respectaient. Les hommes aimaient les femmes grosses.
«Elle était si belle que son chameau ne pouvait pas la soulever», c’est un dicton célèbre en Mauritanie. …Ce que les hommes mauritaniens aimaient le plus chez les femmes, c’était les vergetures et les bourrelets, pas sur le ventre mais sur les bras et les jambes, l’intérieur des jambes, derrière les cuisses. Je restais toute la journée attachée avec mes plats à manger.»
Mariée par son père à neuf ans et demi, elle accouche vers douze ans, en plein désert, de son fils enlevé ensuite par son mari quand ils divorceront. Puis elle en épousera un autre et un autre qui tous la tromperont et qu’elle quittera par orgueil et pour rester dans sa tribu.
Certains épisodes sont très amusants comme la découverte du lit à l'occidentale pour la famille de nomades habitués à se coucher par terre dans le sable ou sur la terre du désert ou comme les premiers pas dans la rue avec des talons hauts parce que c’est la grande mode et que la jeune fille veut s'habiller comme Brigitte Bardot, elle si habituée à marcher pieds nus.
«Au début, j’avais vraiment une démarche de hibou, de corbeau, c’était affreux. Je marchais en me dandinant. C’était impossible de faire autrement parce qu’à Nouakchott il n’y avait pas une seule rue goudronnée. Si, par chance, je trouvais un endroit un peu dur, j’essayais de rouler les mécaniques, et tout d’un coup, paf ! Je m’écroulais! J’avais un pied qui faisait ouf dans le sable ou alors je marchais sur un caillou, et je tombais. Combien de fois je me suis cassé la figure ! J’ai encore des marques sur les genoux à cause des talons, parce que je tombais tout le temps sur les cailloux. Mais je trouvais ça joli, je trouvais ça moderne, je trouvais ça... je ne sais pas.»
Elle tombera enfin amoureuse d'un jeune français devenu depuis son mari et le père de ses enfants, qui lui appris à piloter de petits avions et avec lequel elle est maintenant installée en France depuis, loin du désert, de sa tribu et de sa famille.
Un livre très agréable !
Résumé de l'éditeur:
Est-ce que c’était moi ? Est-ce que vraiment j’ai vécu ça ? Ou est-ce que c’est une autre, ou est-ce que c’est un rêve ? Mon enfance dans le désert, les grandes traversées avec le Groupe Nomade, mon gavage, mes mariages avec… Est-ce que ça a existé ? C’est tellement loin de moi. Et puis si c’était vraiment moi, qui suis-je maintenant ?
La voix de Mariem s’élève du pays au million de poètes, de ce désert mauritanien où le vent de sable efface toutes les traces, et voue la vie des hommes à l’oubli.
Portés par sa parole magistralement mise en scène par Sophie Caratini, nous traversons le miroir du mythe pour atteindre à la vérité d’une femme et découvrir un monde saharien, bédouin, que le choc colonial va totalement bouleverser. Avec Mariem, reprennent sens des savoirs perdus, d’autres manières d’être. Grâce à elle, nous accédons à la forme de vie et aux métamorphoses intérieures de tout un peuple.
L’auteur: Sophie Caratini est écrivain et anthropologue. Spécialiste de la Mauritanie et du Sahara Occidental, elle est directrice de recherche au CNRS, membre de l’Équipe Monde Arabe et Méditerranée.
La fille du chasseur de Sophie Caratini, (éditions Thierry Marchaisse, février 2011, 360p) Couverture : Mariem, la fille du chasseur en 1966
Merci à Mathilde qui m'a envoyé ce livre de la part de l'éditeur.